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AVANT L’AMOUR.

— Malchanceux ! Oh ! combien !… Toutes les portes se ferment devant moi. Je ne sais même plus si j’ai du talent. Et par surcroit, je me sens devenir ingrat envers cette pauvre femme que j’ai aimée naguère… Mais cela ne pouvait durer ! — il frappa sur la table. — Je te le répète, Marianne, elle devrait comprendre que nous ne pouvons plus être que des amis… J’ai vingt-sept ans, je veux faire ma vie… Est-ce m’aimer que m’attacher au pied le boulet d’une liaison sans tendresse ?… Elle prétend que je lui fais du mal, qu’elle souffre… Et moi donc, suis-je sur des roses ?

Son regard glissa sur moi, hésita, s’adoucit.

— Ta présence m’a été douce, Marianne. Sans toi j’aurais pris en dégoût la maison de mes parents. Tu es si singulière, si intelligente, si énergique ! Oh ! nous nous comprenons bien, dis ? Chère petite amie, quelles bonnes heures nous avons passées dans le pré, sous les saules ! Tu te souviens du jour où tu glissas dans le ruisseau ? Nous ne les revivrons plus, ces heures.

— Oui, répondis-je… À Paris, nous nous verrons rarement en tête à tête. Je vais perdre mon confident.

— Sans regrets ?

— Oh ! Maxime !

Sa main erra sur la table, joua dans les papiers, frémit nerveusement sur les crayons, puis, tout à coup, toucha la mienne, la caressa mollement, timidement, l’enferma dans une étreinte indécise qui se resserra soudain…

— Marianne, dis, nous ne renoncerons pas à cette intimité charmante ? Tu seras triste encore, inquiète, irritée et tu m’écriras.

— Volontiers…

— Je me confierai à toi… Tu as beaucoup de défauts, petite… mais tu as les qualités que j’aime, l’énergie dans la grâce, la hardiesse dans la douceur, l’orgueil dans la simplicité. Ah si elle te ressemblait ! Mais tu aurais la royauté de ta jeunesse. Ah ! Marianne, je ne te connaissais pas, je ne t’appréciais pas. C’est au moment de nous séparer que je te vois telle que tu es.

Ses yeux se détournèrent.

— Si tu savais combien je suis triste !

Un sentiment de délicate pitié me fit presser la main qui tenait la mienne. Je me levai et, m’accoudant au dossier de la chaise de Maxime, je penchai mon visage vers le sien.

— Ne sois pas triste, mon ami, je t’assure que je t’aime bien et que je partagerai tes joies et tes peines.