Page:La Nouvelle revue. v.103 (Nov-Dec 1896).djvu/357

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âme, ne me laissaient que tristesse infinie, rancune et dégoût… J’avais trop présumé de mes forces en tentant sur moi-même une odieuse et vaine suggestion… Je ne pouvais aimer Maxime ; je ne voulais pas lui appartenir. Et pourtant mes paroles, mon attitude, je ne sais quel morne et bref délire semblaient m’avoir promise à lui…

J’imaginai ses pensées, ses vœux, la fièvre de sa nuit triomphante… Il fallait m’expliquer, m’excuser, le détromper ! Quelle humiliation !… Et surtout il fallait suspendre notre correspondance, rompre notre périlleuse intimité, oublier le mauvais rêve de ces dernières semaines. Certes, Maxime m’était cher et je souffrais de la souffrance même que j’allais lui infliger ; je mesurais la chute de l’espérance à la déception, après l’inutile supplice de Tantale imposé longtemps à son désir… Mais je ne pouvais me donner par pitié, par ennui, par dépit, par scrupule. Un instinct tout-puissant m’avertissait que je devais me garder pour l’amour… Hélas ! le sentiment que j’éprouvais n’avait ni la sérénité de l’amitié, ni la plénitude de la passion ; il oscillait de l’une à l’autre, misérablement mobile et indécis. Certaines taches me gâtaient le caractère de Maxime. Je ne pouvais le chérir avec une estime tout à fait rassurée et ses qualités même, intelligence, énergie, opiniâtre audace, m’inspiraient plus de crainte que de respect.

Je me décidai à écrire… Maxime ne répondit pas. De tristes jours coulèrent dans l’incertitude et l’attente… Puis le jeune homme annonça son départ pour Bruay. Le journal socialiste la Conquête l’envoyait étudier les causes et l’organisation d’une grève de mineurs… M. Gannerault accueillit cette nouvelle d’un air consterné. Il voyait déjà son fils coiffé du bonnet phrygien et plantant un drapeau rouge sur des barricades arrosées de sang bourgeois. Ma marraine s’émut de voir Maxime tourner au révolté, au révolutionnaire, et fréquenter les gens grossiers, mal vêtus, mal éduqués, qu’elle avait en horreur. Les chances du beau mariage rêvé devenaient problématiques. Mais les Gannerault commençaient à comprendre qu’il ne fallait pas discuter avec Maxime. C’était, disaient-ils amèrement, « une tête de fer ».

Maxime absent, les assiduités de Montauzat reprirent leur ancien caractère. Cependant, j’y crus remarquer une nuance de déférence et de vague compassion. La maison était plus morne que jamais. Mon tuteur souffrait de points au cœur, d’oppres-