Page:La Nouvelle revue. v.103 (Nov-Dec 1896).djvu/359

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s’empêcher de vous aimer… Pauvre petite Marianne !… Heureusement que vous avez des amis…

Je tournai la tête. Un baiser frôla ma tempe. Je me mis à pleurer.

— Marianne ! Marianne ! Qu’avez-vous !… Je veux vous consoler… Écoutez, ma jolie petite amie… Je vous aime bien, bien, bien… Mais pourquoi pleurez-vous ?… Je vous ai fait de la peine.

Ses mains pressaient mes mains, frémissaient sur mes bras, sur mes épaules. Et la voix fade, la voix d’eau tiède coulait dans mon oreille, intarissablement… J’essuyai mes yeux ; je m’excusai. L’arrivée de ma marraine fit diversion.

Depuis quelques mois, la maison résonnait des louanges de Montauzat. Ses flatteries avaient séduit la vanité de ma marraine ; ses prévenances endormirent les scrupules de mon tuteur. Il était l’excellent ami, l’homme indispensable. Moi-même je me reprochais de l’avoir jugé trop sévèrement…

— Peut-être ai-je subi l’influence d’une répulsion toute physique. Peut-être la malveillance jalouse de Maxime a-t-elle faussement interprété les attitudes et les paroles de Montauzat…

Et considérant le présent, l’avenir, les fatalités acharnées sur moi, la défection de Rambert, les dangereuses tentations que suscitait la présence de Maxime, ma folie, enfin, et ma faiblesse, je songeais :

— Allons, Marianne, ma fille, renonce aux chimères ; rentre dans le rang. Combats le bon combat pour le mariage. Un mariage de raison… avec Montauzat !… Ça ne te sourit guère ? Rappelle-toi le soir de l’Opéra… Le mariage qui t’assure la liberté, l’aisance, la sécurité, vaut mieux, pour ton bonheur même, qu’une chute stupide, sans amour…

— Mais l’amour, s’il traverse ma vie, s’il vient à moi à l’heure où, lasse de l’avoir cherché, je me reposerai dans la médiocrité, sur les débris de mon rêve !…

— L’amour !… invention des poètes, éternelle duperie !

— Mais je me vendrai comme toutes ces filles avides de mariage que j’ai raillées et méprisées si longtemps.

— Regarde-toi ! ta fraîcheur, ta jeunesse seront à peine payées par la fortune de Montauzat. Ton corps, qui appelle un corps jeune et vigoureux, se résignera à l’embrassement d’un libertin fatigué… Tu ne devras rien à ton mari — pas même la reconnaissance…