Page:La Nouvelle revue. v.103 (Nov-Dec 1896).djvu/360

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Ainsi dialoguaient mon cœur et cet égoïsme hypocrite qu’on appelle souvent le bon sens. Le prestige du mariage m’aveugla… Où était alors la fière, la tendre, la chaste Marianne qu’avait créée Rambert et que Rambert avait tuée ?… Je me soumis aux tristes nécessités du rôle que je jouais ; je fus la « demoiselle à marier », prête à toutes les compromissions, à toutes les comédies, à toutes les résignations… Ah ! l’horrible époque où sombrèrent peu à peu mes rêves et mes beaux orgueils d’adolescente !… Le sang me monte aux joues quand je remue ces souvenirs…

Et tant de calculs avilissants, tant d’humiliations subies, tant de révoltes comprimées ne devaient servir à rien !… Ma pudeur se réveilla le jour où Montauzat voulut baiser mes lèvres. Il devina mes invincibles répugnances et pressentit un piège tendu… Quinze jours après, nous apprîmes son mariage avec une héritière de l’Amérique du Sud. Je n’eus pas à me consoler… Il me sembla que l’air et le soleil rentraient dans la maison. Je détestai ma lâcheté, soulevée tout à coup d’une étrange allégresse…

— Qu’il se marie !… Peu m’importe ! Ce dénouement, m’épargnant un suprême dégoût, complète mon éducation sentimentale… Mes derniers préjugés sont tombés. Au gré de mon désir, hardiment, je disposerai de moi-même.

XIV

Maxime, loin de moi, voyageait au noir pays des mines. Il nous écrivait rarement, mais, presque chaque jour, la Conquête publiait un fragment de ses Impressions. Je me plaisais à retrouver dans ces lignes le souvenir de nos entretiens des Yvelines et Maxime révolté, Maxime menaçant me rendait plus cher le tendre Maxime que j’avais si mal récompensé. Je saluai en lui une gloire et une force, l’espoir d’un revendicateur.

— Pourquoi ne l’ai-je pas aimé ? me disais-je pendant que M. et Mme Gannerault, épouvantés, voyaient leur fils compromis dans des émeutes, envoyé à « la Nouvelle » ou à l’échafaud. Nous avons les mêmes intérêts et les mêmes haines. Il me reprochait les préjugés imposés par l’éducation. Il verra comment mon esprit s’en est affranchi. Ah ! si Maxime est sincère, quelle belle tâche nous ferions à nous deux ! Je jetterais avec joie, derrière