Page:La Nouvelle revue. v.103 (Nov-Dec 1896).djvu/361

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nous, tout le fatras de fausses croyances et de fausses pudeurs dont la loi du monde m’affuble encore !

L’absence poétisa Maxime. Je souhaitai le revoir. Le printemps naissait, ardent et précoce, et, comme la sève aux marronniers, le désir de l’amour me remontait à l’âme. Le soleil de mars qui rend fou, dit le peuple, me baisa et me brûla de ses rayons. L’azur frais, les bourgeons neufs, l’odeur amère des premières feuilles, l’air où la dernière neige errait, tout me fut douceur et délice. Autour de moi soufflait un vent d’hyménée. Mes compagnes, l’une après l’autre, revêtaient la robe nuptiale et le voile blanc. Je les accompagnais à l’autel, quêteuse vêtue de bleu ou de rose, admirée, fêtée, souriante, avec une nostalgie mortelle dans le cœur. Qu’avais-je de moins que mes sœurs plus heureuses ? Un peu de cet argent qui déshonore jusqu’à l’amour. Et cette pensée seule me retenait au bord de l’envie, car je connaissais les petits mystères de ces mariages bourgeois. Certes, pensais-je en écoutant les fadaises de mes cavaliers, si j’avais cent mille livres de dot, je pourrais choisir à mon gré parmi les mieux cravatés de ces ingénieurs. Tous ces gens, hommes et femmes, sont à l’encan. Mais que diraient-ils, si, tout à coup, ils devinaient les réflexions de l’innocente Marianne, cette naïve jeune personne dont les rêves ne semblent peuplés que de princes Charmants et d’oiseaux bleus ? Ah ! si j’aimais Maxime, j’irais avec lui, dans la misère, dans la révolte, vers l’amour connu.

Ainsi, entre des jours de colère, l’ennui secouait sa cendre sur mes dix-neuf ans. Je comptais avec désespoir les jours inutiles de ma jeunesse, et la nuit, baignée de larmes, brûlée de fièvre, j’embrassais le vide et les ténèbres, je me pleurais moi-même comme la fille de Jephté. L’aube me trouvait blême et défaillante, sans forces pour le jour.

Et ce sera ainsi toute la vie !

Viennent donc les temps promis par Maxime, où le règne de l’amour remplacera le règne de l’argent ! Mais dans ces temps, où seras-tu, pauvre Marianne ? Jamais tu ne t’affranchiras du joug. Car si tu l’acceptes, ce joug, c’est la vie médiocre, mais assurée, et si tu le brises, si tu te déclasses, c’est le mépris des gens comme il faut, c’est la misère. Beau risque à courir, s’il ne paye pas la certitude de l’amour !

Maxime revint.