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XI
mort d’un dieu


Sublime pied à terre des dieux, de la fontaine rose de l’aurore à l’heure meurtrière de midi et des flèches du soleil en fil à plomb, je vais du temple au théâtre et du théâtre au temple. Né poète, celui qui n’est pas venu à Ségeste ne saura jamais jusqu’où le sens divin peut s’élever, jusqu’où il peut toucher la forme réelle et la présence de ces corps immortels dans leur sereine majesté. Il faut être ici pour se haïr d’être une ombre entre les autres, pour brûler de l’épuisante convoitise de ne plus rien avoir de commun avec leurs destins, et de se soustraire au sien par quelque évasion légitime.

Quel est le dieu de ce temple ? On n’a pu me le dire ; les pierres, les livres et les savants sont muets.

C’est un lieu sacré, celui où la grandeur et la beauté se confondent. On ne fait plus la moindre attention au détail. Peut-être, la splendeur de la ruine fait-elle l’unité. Au soleil, le silence et la pensée célèbrent leurs noces. Les frontières du sentiment et de la raison ne se discernent plus. Tout concourt à l’ivresse sereine qui porte l’esprit au delà du terreau où germe l’homme. La force reste en deçà qui soulève ailleurs la matière. C’est la grandeur de l’esprit qui anime tout. Il n’est plus rien pour l’effet, ni pour frapper ni pour plaire. Prie ici qui est digne de prier. Devant Ségeste, la mode est l’hérésie.

À Ségeste, la nature est vaincue ; il ne faut pas parler d’elle ni de sa force souveraine : elle est la servante. La lumière et l’esprit règnent seuls : leur puissance, leur domination est absolue. La paix est implacable qui tombe de cette colline et qui impose le silence à la contrée. À la seule idée d’un geste qui la trouble ou d’un cri, elle