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monde. Pour qu’elle soit cultivée, que faut-il faire ? La donner à un propriétaire, créer un intérêt particulier. Si les écrivains vivants savent tirer parti de leur droit, pourquoi donc leurs héritiers seraient-ils aveugles et stupides ? Ce sont là de ces hypothèses gratuites qui ne prouvent rien, car elles sont contraires à l’expérience et au bon sens.

Il y a, dira-t-on, cette énorme différence que si, par hasard, deux ou trois propriétaires étaient assez négligents ou assez fous pour oublier leur intérêt, on en trouverait cent mille autres qui cultivent leur champ et vendangent leur vigne. Mais il n’y a qu’un Racine ou un Corneille ; si l’héritier les laisse en friche, à qui la société pourra-t-elle s’adresser ? Elle sera victime d’un monopole.

Monopole, c’est le grand mot qu’on imagine pour se débarrasser de la propriété littéraire, sans voir qu’on frappe du même coup toute espèce de propriété. Par exemple il n’y a qu’un clos Vougeot dans le monde. Si le propriétaire refusait de le vendanger, que feriez-vous ? Respecteriez-vous un abus particulier et passager, pour ne pas ébranler le droit de propriété, ou renverseriez-vous le droit commun pour remédier à un inconvénient qui ne peut durer ? La solution n’est pas douteuse ; nulle loi n’oblige le propriétaire à cultiver son bien. Ce n’est pas que le législateur ignore que tout droit peut dégénérer en abus ; mais il statue pour la généralité des choses, et non pas pour une exception. La société se résigne à une gêne passagère, par respect pour un droit durable, et qui, dans le plus grand nombre des cas, profite à tous.

Un autre exemple. Si l’acquéreur d’un tableau de Raphaël l’enfermait sous clef, et ne le montrait à personne, feriez-vous une loi pour donner au pre-