Page:La Revue, volume 56, 1905.djvu/256

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

il n’y avait ni tués, ni cadavres, ni cette horreur de la faible pensée ébranlée, mais que je dormais couché sur le dos, comme dans mon enfance, et faisais un rêve terrible, et voyais ces chambres silencieuses, inquiétantes, dévastées par la mort et la terreur, et moi-même cette lettre inepte à la main. Mon frère est vivant, et tous ils sont réunis autour de la table à thé et on entend sonner les tasses,

…Les corbeaux croassent

Non, c’est vrai. Terre misérable, c’est vrai, n’est-ce pas ? Les corbeaux croassent. Ce n’est pas l’émotion d’un écrivassier oisif, cherchant des effets à bon marché, d’un fou, qui a perdu sa raison. Les corbeaux croassent. Où est mon frère ? Il a été doux et bon et n’a voulu de mal à personne. Où est-il ? Je vous le demande, maudits assassins, corbeaux perchés sur la charogne, bêtes malheureuses, sans raison. Vous êtes des bêtes. Pourquoi avez-vous tué mon frère ? Si vous aviez un visage, je vous aurais souffletés, mais vous n’avez pas de visages, mais des têtes de bêtes sauvages. Vous faites semblant d’être des hommes, mais je sens des griffes sous vos gants, sous votre chapeau le crâne aplati d’une bête ; vos propos raisonnables recèlent une folie dissimulée, secouant ses chaînes rouillées. Et de toute la force de ma douleur, de mon angoisse, de ma pensée bafouée, je vous maudis, bêtes misérables au cerveau débile !


dernier fragment


…nous attendons de vous la rénovation de la vie ! criait un orateur monté sur une borne agitant les bras pour se maintenir en équilibre et brandillant un drapeau qui portait sur ses plis l’inscription de « À bas la guerre ! » en grands caractères.

— …Vous, les jeunes, dont la vie est toute dans l’avenir, gardez-vous, gardez les générations futures de cette horreur, de cette folie. Les forces manquent, le sang inonde les yeux. Le ciel s’effondre sur nos têtes, la terre s’ouvre sous nos pieds. Bonnes gens…

La foule bourdonnait énigmatiquement, et la voix de l’orateur se perdait par moment dans ce bruit vibrant et menaçant.

— …Oui, je suis fou, mais je dis la vérité. Mon père et mon frère pourrissent là-bas comme de la charogne. Allumez des feux, creusez des fosses, et détruisez, ensevelissez les armes. Démolissez les casernes, et ôtez aux hommes les brillants habits de folie, arrachez-les. Les forces manquent… Les hommes meurent…

Un homme très grand le frappa et le renversa : le drapeau se