Page:La Revue, volume 56, 1905.djvu/257

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leva encore une fois et retomba. Je n’eus pas le temps de bien voir le visage de celui qui avait frappé, car aussitôt tout devint cauchemar. Tout remua, se mit en mouvement, hurla, des pierres, des bûches valsèrent dans l’air, des poings prêts à frapper s’élevèrent au-dessus des têtes. Pareille à un flot vivant, mugissant, la foule me souleva, me porta, me heurta contre une haie, puis me porta en arrière, de côté et vint enfin m’écraser contre une énorme pile de bois penchée et menaçant de tomber. Quelque chose de dur, de sec frappa en claquant et en craquant les poutres, un calme momentané se fit, et de nouveau un hurlement immense, à bouche déployée, terrible dans sa spontanéité d’élément, retentit, puis un craquement sec et dru se fit entendre, quelqu’un tomba près de moi, et du trou rouge à la place de l’œil le sang jaillit. Une bûche lourde, tournoyant dans l’air, me frappa de son bout, je tombai et me traînai sans savoir où, parmi les jambes piétinantes et je gagnai l’espace libre. Puis je franchis des palissades, me mis les ongles en sang en escaladant des piliers de bois ; l’un s’écroula sous moi et je tombai entraîné par la chute des poutres ; je sortis à peine d’un carré noir, et derrière moi tout tournait, hurlait, mugissait et craquait. On entendit sonner quelque part une cloche, quelque chose s’écroula comme si c’eût été une maison à cinq étages qui tombait. Le crépuscule, comme suspendu, semblait repousser la nuit, et les hurlements, les coups de feu parurent se colorer de rouge et chasser les ténèbres. Sautant à bas de la dernière palissade, je me trouvai dans une ruelle étroite, tortueuse, pareille à un couloir entre ses deux murs pleins, je me mis à courir, je courus longtemps, mais la ruelle se trouva être sans issue, elle était barrée par une palissade et au delà noircissaient de nouvelles piles de bois. Et de nouveau j’escaladai ces masses mobiles, oscillantes, tombai dans des puits où tout était calme, où l’on sentait l’odeur du bois humide, et j’en sortais sans oser me retourner ; je savais ce qui se faisait là-bas, je le devinais à cette couche rougeâtre imperceptible qui couvrait les poutres et les rendait pareilles à des géants tués. Le sang cessa de couler du visage fracturé qui s’engourdit et devint comme un masque de plâtre, la douleur était presque insensible. Il me semble avoir perdu connaissance dans un de ces trous noirs où j’étais tombé, mais je ne le sais pas au juste, car je me vois toujours courant.

Puis je me jetai longtemps de côté et d’autre dans des rues désertes, inconnues, où il n’y avait pas de lanternes, au milieu de maisons noires comme mortes, sans parvenir à sortir de ce dédale muet. Il aurait fallu m’arrêter, m’orienter, mais c’était impossible ; j’avais toujours sur mes trousses le fracas et le hurlement loin-