Page:La Revue, volume 56, 1905.djvu/258

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tains qui approchaient ; parfois d’un tournant de rue, ils me frappaient en pleine figure, rouges, enveloppés de tourbillons d’une fumée pourpre, serpentante, et alors je rebroussais chemin et courais, jusqu’à ce qu’ils fussent de nouveau derrière moi. À un coin, je vis une bande de fous qui s’éloignaient à mon approche : on fermait en hâte un magasin quelconque. Je vis par la fente large un bout de comptoir, un tonneau et puis tout se couvrit d’une ombre silencieuse, craintive. À quelques pas du magasin, je vis un homme qui courait à ma rencontre ; dans l’obscurité, nous faillîmes nous heurter et nous nous arrêtâmes à deux pas l’un de l’autre. Je ne sais qui cela était, je vis seulement une silhouette sombre.

— D’où viens-tu ? demanda-t-elle.

— De là-bas.

— Où cours-tu ?

— Chez moi.

— Ah ! chez toi ?

Il se tut et soudain se rua sur moi, s’efforçant de me terrasser, et ses doigts froids cherchaient avidement ma gorge, mais ils s’embrouillaient dans mes habits. Je le mordis à la main, je m’échappai et me mis à courir, et il me poursuivit longtemps à travers les rues désertes frappant le pavé des talons. Puis il resta en arrière, le doigt mordu lui faisait mal sans doute.

Je ne sais comment j’étais arrivé dans ma rue. Il n’y avait pas non plus de lanternes et les maisons se dressaient sans lumière, comme mortes, je l’aurais dépassée aussi si je n’avais pas levé les yeux par hasard et vu ma maison. Mais j’hésitai : la maison même, où j’avais vécu tant d’années, me sembla étrangère dans cette rue morte renvoyant l’écho triste et extraordinaire de ma respiration. Puis je fus saisi de la terreur folle à la pensée d’avoir perdu ma clef en tombant et je la trouvai à peine, bien qu’elle fût tout près, dans la poche extérieure de mon pardessus. Et quand je fis grincer la serrure, l’écho répercuta le son si distinctement d’une manière si étrange, comme si les portes de toutes les maisons mortes de la rue s’ouvraient.

…Tout d’abord je me cachai dans la cave, mais bien vite la peur et l’ennui s’emparèrent de moi, je vis quelque chose poindre dans les ténèbres, et je passai furtivement dans les chambres. À tâtons, je fermai dans l’obscurité toutes les portes, et après un moment de réflexion, je voulus les barrer avec des meubles, mais le son du bois déplacé était trop sonore dans les chambres vides et me fît peur.

— J’attendrai la mort comme cela, décidai-je.

Dans le lavabo il y avait encore de l’eau tiède et je me lavai à