Page:La Revue, volume 56, 1905.djvu/259

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tâtons, m’essuyai la figure avec un drap. À l’endroit où elle avait été blessée, je sentais une douleur cuisante, comme des piqûres, et je voulus me voir dans une glace. Je frottai une allumette et à sa lueur inégale et faible, quelque chose me regarda des ténèbres, quelque chose de si dégoûtant, de si terrible, que je m’empressai de jeter l’allumette par terre.

Il me sembla que j’avais le nez brisé.

— À présent cela m’est bien égal, pensai-je.

Et je devins gai. Avec des grimaces bizarres, comme si au théâtre je jouais le rôle d’un voleur, je me dirigeai vers le buffet et me mis à y chercher des restes de nourriture. Je me rendais parfaitement compte de ce que toutes ces grimaces avaient de déplacé, mais j’y trouvai un certain plaisir. Et je mangeai avec les mêmes grimaces, faisant semblant d’avoir faim.

Mais le calme et l’obscurité me faisaient peur, j’ouvris un vasistas donnant dans la cour et me mis à écouter. D’abord, parce que le roulement des voitures avait complètement cessé, il me parut qu’il y avait un calme absolu. Il n’y avait pas de coups de feu. Mais je distinguai aussitôt le bruit lointain et étouffé d’une voix, des cris, le craquement d’une chose qui tombait, des rires. Les sons gagnaient sensiblement en force. Je regardai le ciel ; il était pourpre et fuyait rapidement. Et la remise en face de moi, et le pavé de la rue, et la niche des chiens étaient baignés de la même teinte rouge. Doucement, j’appelai le chien par la fenêtre :

— Neptune !

Rien ne bougea dans la niche, tandis qu’à côté je distinguais à la lueur rouge un bout de chaîne. Les cris lointains et le bruit sec d’une chose qui tombait grossissaient et je fermai la fenêtre.

— On vient ici ! pensai-je, et je cherchai où me cacher. J’ouvris les poêles, tâtai la cheminée, ouvris les armoires, mais rien ne me convenait. Je fis le tour de toutes les chambres, sauf le cabinet où je ne voulais pas entrer ; je savais qu’il y était, assis dans son fauteuil devant la table chargée de livres, et cela me fut désagréable.

Peu à peu, j’eus la sensation de n’être pas seul, autour de moi, dans l’obscurité, des hommes remuaient silencieux. Ils me frôlaient presque et une fois un souffle vint me glacer la nuque.

— Qui est là ? demandai-je à voix basse, sans que personne répondît.

Et quand je me mis de nouveau à marcher, ils me suivirent silencieux et terribles. Je savais que ce n’était que le jeu de mon imagination, parce que j’étais malade et que la fièvre commençait évidemment, mais je ne pus dominer ma terreur qui faisait trem-