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Page:La Revue, volume 56, 1905.djvu/68

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n’avais vu rien de plus pâle que ce visage. Les morts mêmes ont plus de couleurs que ce visage jeune sans moustaches. Il avait sans doute eu grand’peur en se rendant auprès de nous et ne parvenait pas à se remettre ; il portait la main à son képi pour chasser par ce geste simple et familier la terreur folle.

— Avez-vous peur ? demandai-je en lui touchant le coude, qui était comme en bois ; il souriait et gardait le silence, ou plutôt le sourire contractait ses lèvres seules, dans les yeux il n’y avait que la jeunesse et la peur, et rien d’autre.

— Avez-vous peur ? insistai-je doucement.

Les lèvres se contractèrent dans l’effort de proférer un mot et au même moment se fit quelque chose d’inconcevable, de monstrueux, de surnaturel. Un souffle tiède effleura ma joue gauche, je fus secoué avec force, — et ce fut tout, tandis que devant moi, à la place du visage pâle, il y avait quelque chose de court, de tronqué, de rouge et le sang en jaillissait comme d’une bouteille débouchée, telle qu’on les peint sur les enseignes misérables. Et dans cette chose tronquée, rouge, jaillissante, il y avait encore un sourire, un rire édenté, le rire rouge.

Je le reconnus, ce rire rouge, je l’avais cherché et je le trouvais, ce rire rouge. Je compris alors ce qu’il y avait dans tous ces mutilés, déchiquetés, étranges, c’était le rire rouge. Il est dans le ciel, dans le soleil, il inondera bientôt toute la terre.

…Tandis qu’eux, distinctement et tranquillement, tels des somnambules…


Fragment III.


…folie et horreur.

On prétend qu’il y a beaucoup de fous dans notre armée et dans l’armée ennemie. On a déjà fondé chez nous quatre sections psychiatriques. Quand j’ai été à l’état-major, l’aide de camp m’a montré…


Fragment IV.


…ils enlacent, pareils à des serpents.

Il a vu le fil de fer tranché d’un côté fendre l’air, enlacer trois soldats. Les pointes déchiraient les tuniques, s’enfonçaient dans la chair, et les soldats, en poussant des cris, tournoyaient furieusement, et deux d’entre eux entraînaient leur camarade mort. Puis un seul, resté vivant, repoussait les deux autres qui se traînaient, se contorsionnaient, roulaient l’un par-dessus l’autre, par-dessus le vivant, et tout à coup tous les trois restèrent immobiles.