Page:La Revue anarchiste, année 2, numéro 19, 1923.djvu/17

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dividu libéré des préjugés, à enchaîner notre pensée rebelle…

Nous ne sommes ni des fous, ni des imbéciles, mais nous sommes des anarchistes et des anarchistes de la bonne race.

III

Quelques-uns — trop nombreux parmi les militants (mot impropre et anti-anarchiste que ce mot de militant) — et qui jouissent du privilège (pauvre et triste privilège) d’être considérés par le plus grand nombre — le plus grand nombre même dans notre camp, hélas ! est souvent un troupeau — comme les seuls, les uniques, les vrais gardiens du feu divin qui brûle et crépite sur le mystique autel de la Vestale sacrée, de la Sainte-Anarchie, quelques-uns donc vont braillant depuis longtemps, depuis trop longtemps, que l’époque obscure de l’anarchisme héroïque est désormais, heureusement, dépassée ; que le temps est finalement venu de ne plus se laisser dominer par les ombres troubles et tragiques d’Henry et de Ravachol, que la bande en automobile de Jules Bonnot et de ses compagnons réfractaires ne fut qu’une triste expression de la décadence anarchiste, assimilable à une certaine dégénérescence intellectuelle de la morale bourgeoise ; que le vol n’est et ne peut être action anarchiste, mais bien plutôt un dérivé de la morale bourgeoise elle-même ; que…

Mais à quoi bon continuer ? Arrêtons-nous donc !

IV

Il y a, pour nous, trois raisons anarchistes qui militent pour la défense de l’acte terroriste et de l’expropriation individuelle.

La première est d’ordre social, sentimental et humain et comprend le vol comme nécessité de conservation matérielle de cet individu qui, tout en ayant toutes les prédispositions de la bête, les sacrifie vite pour se soumettre aux lois sociales et auquel la société nie également les moyens les plus misérables pour une existence encore plus misérable.

Pour cet individu, que la sadique et libidineuse société s’est amusée — à travers les jeux macabres de sa bestiale perversité — à pousser jusqu’aux derniers degrés de la dégradation humaine, Enrico Malatesta lui-même — qui ne peut être accusé d’avoir de l’anarchisme un concept païen, dionysiaque, nietzschéen — admet que le vol, en plus d’un droit, — peut être même un devoir.

Mais, en vérité, pour admettre ce genre de vol, il me semble qu’il n’y aurait pas absolument besoin d’être anarchiste.

De Victor Hugo à Zola, de Dostoïevski à Gorki, de Tourgueniev à Korolenko, toute une longue cohorte d’artistes et de poètes romantiques ou véristes, humanistes ou néo-chrétiens, ont admis, expliqué et justifié ce genre de vol, à propos duquel ils ont été jusqu’à créer de vrais chefs-d’œuvre d’art et de beauté dans les pays desquels vibre et palpite la plus lyrique de toutes les piétés humaines.

Non seulement des artistes, des poètes et des romanciers l’expliquèrent et le justifièrent, mais le fameux juriste Cesare Beccario lui-même, après avoir reconnu que « les lois », dans l’état présent, ne sont que des privilèges odieux qui sanctionnent le tribut de tous à la domination de quelques-uns, affirme que « le vol n’est pas un délit congénital à l’homme, mais bien l’expression de la misère et du désespoir, le délit de cette partie la plus misérable des hommes, pour laquelle le droit de propriété ne concède qu’une cruelle existence ».

Sur cette première raison du vol, il n’y a donc, croyons-nous, aucun besoin de s’arrêter trop longtemps pour démontrer ce qui désormais n’a plus aucun besoin d’être démontré.

Nous pouvons ajouter simplement que pour l’homme à qui la société nie le pain, si un délit existe, c’est justement celui de ne pas voler et de ne pas pouvoir voler

Je le sais, il n’y a encore que trop de reptiles malfaisants à apparence humaine, qui exaltent et chantent la « grande vertu » des « pauvres honnêtes »,

Ce furent eux — dit Oscar Wilde — qui traitèrent pour leur compte personnel avec l’ennemi, en vendant leurs droits d’aînesse pour un ignoble plat d’exécrables lentilles.

Être pauvres — et « pauvres honnêtes », signifie, pour nous, être les ennemis, et les ennemis les plus répugnants de toute forme de dignité humaine et de toute élévation de sentiment.

Que peut bien symboliser un « pauvre honnête », sinon la forme la plus dégradante de la dégénération humaine ?

V

« Autre chose est la guerre. Je suis par nature batailleur. Assaillir est un de mes instincts ». Ainsi parle Frédéric Nietzsche, le fort et sublime chantre de la volonté et de la beauté héroïque.

Et la seconde raison anarchiste qui milite pour la défense de l’acte terroriste et de l’expropriation est une raison héroïque.

C’est une raison héroïque qui comprend le vol comme arme de puissance et de libération qui peut être employée seulement par cette minorité audacieuse d’êtres ardents qui, tout en appartenant à la classe des « prolétaires » discrédités, ont une nature vigoureuse et vaillante, riche de libre spiritualité et d’indépendance, qui ne peut accepter d’être enchaînée