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Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/244

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Siècle, le grand siècle, le siècle prodigieux, le nôtre ! celui qui avait le plus pensé, le plus inventé, celui qui avait tué plus qu’aucun autre siècle, avait-il assez souffert, assez souffert ?

Et après ? De grandes choses formidables, en dedans. Mais rien ne sortait. Sans doute le vieux avait cru parler, livrer ses souffrances en exemple… mais le froid, le pâle soleil… non, plus de quoi chauffer la machine à discours. Trop loin peut-être aussi le temps où il avait mangé… Et les autres, avides de parler, eux aussi. De leurs souffrances ? Ils n’en avaient pas eu encore, — mais en auraient ! Avides d’en parler d’avance, ils trépignaient. Qu’as-tu à dire ? tu n’as que souffert ! Eux, ils ont à souffrir !

— Citoyens, nous avons…

La salle pouffait de rire.

Il ne voyait pas la salle. Dans sa tête murée, d’où nulle phrase ne sortait, n’entrait aucune huée.

La Révolte ! Il l’avait vue, il la revoyait !

Il avait tenu, aux barricades, jusqu’au bout ! Mais il n’avait plus de balles, il ne pouvait plus tirer ! Il tenait encore, devant cette foule, qui le bafouait. Mais il n’avait plus de phrases ; il ne pouvait plus parler.

Son bras seul évoquait, tâchait de faire comprendre, montrait des choses sans nom, énormités de rage, de meurtres, de luttes, que nul ne pouvait voir là, et qu’il savait y être. Son bras, qui quelque temps en brandissant la crosse avait paré à la défection de la poudre, voulait encore combattre cette foule en gaîté, dire du geste, puisque la parole trahissait, et son bras étendu semait à la volée ; il avait plein son âme de vengeance à semer. Il se hâtait et nul ne voyait tomber les grains… Vieux fou, que faisait-il ? Nul n’aurait pu le dire. Mais peut-être on reconnaîtrait à la voir lever de terre, si toutefois à jamais ces sillons ne sont stériles, la graine qui remplaçait dans ces deux mains muettes, les gerbes de révolte dont elles furent pleines.

O Commune ! Poudre et pétrole, barricades et flammes, cris d’espoir, cris de mort, cris de bête ! Il croulait des charretées de cadavres et de rêves, tellement qu’ils couvraient le sol, et s’entassaient, pesaient, si lourds, que l’espérance en dessous étouffait ! — et, dégagée, jamais elle ne s’était ranimée.

Assez, assez ! Vieillard, descends. À d’autres la parole !

Descends, vieillard, et tant pis si tu n’as rien dit. D’autres vont parler…

Et ce fut la prison, les pontons et le bagne, quand tu fus descendu de la dernière révolte. Mais la tribune est vide et nul n’a plus parlé.

Et cependant, nous tous, nous aurions tant à dire !

D’autres parlèrent.