Page:La Revue blanche, t19, 1899.djvu/469

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Ainsi devenus socialistes bonnement, les uns avant le commencement de l’affaire Dreyfus, les autres en conséquence de cette affaire, ces maîtres, sous-maîtres et élèves-maîtres de l’enseignement public n’eurent pas de plus ferme propos que de devenir les maîtres, sous-maîtres et élèves-maîtres d’un enseignement vraiment populaire. Et si en pensée ils se réservaient cette part de travail, l’enseignement du peuple, c’était pour la raison péremptoire pour laquelle, même et surtout dans la cité socialiste, il convient que ce soient les boulangers, comme par hasard, qui fassent le pain.

Je sais que ces maîtres de l’enseignement ne représentaient rien ni personne. « Enfin ! qu’est-ce que vous représentez ? » disait à Jaurès quelqu’un que je connais. C’est entendu : Jaurès ne représente personne ; il pourrait, comme tant d’autres, représenter au moins une circonscription, celle de Carmaux, par exemple. Mais il ne représente rien. Il a proposé à tous les esprits libres un certain nombre de démonstrations. Il ne représentait pas plus alors que le géomètre ne représente. Un certain nombre d’hommes libres, sans le considérer du tout comme un chef de parti, lui ont dit ou lui ont fait savoir pertinemment qu’ils étaient d’accord avec lui sur un certain nombre de questions et de solutions. Il ne représente rien. Pareillement les instituteurs et les professeurs ne représentent personne.

Si l’on était sincère, on ne serait pas autoritaire. On n’instituerait pas de son autorité privée « la morale du parti », car le socialisme est justement en un sens la réalisation de la morale ordinaire et, n’étant pas une Église, n’a pas une morale à soi. On n’émettrait pas des propositions aussi courtes et aussi entières que celles-ci : « On n’amnistie pas ainsi le passé. La morale d’un parti est faite de ses traditions et de ses souvenirs historiques ». Sans que M. Lagardelle paraisse même s’en douter, un très grand nombre de questions non seulement morales mais métaphysiques et psychologiques, privées et publiques, individuelles et sociales sont tranchées un peu hâtivement par de tels aphorismes.

Enfin quand on sera sincère on fera l’union socialiste. Aussi longtemps qu’il sera permis aux chefs d’école de penser d’abord au salut de leur école[1], aussi longtemps que des jeunes gens, au lieu de vivre libres parmi des jeunes gens libres, auront la pensée claire ou obscure de devenir chefs d’école ou disciples, les comités d’entente socialiste ressembleront à la conférence de La Haye : on y votera d’enthousiasme les mesures insignifiantes, et on tirera chacun de son côté aussitôt qu’il s’agira sérieusement d’action.

Quand la Révolution de la sincérité sera faite, on reconnaîtra que l’abstention n’est nullement révolutionnaire et que la plupart des fois elle est simplement lâche ; on ne craindra pas de dire la vérité même à ses amis politiques ; on n’aura pas besoin de compenser des com-

  1. Si l’on veut savoir à quel état d’esprit en arrive un sous-chef d’école, qu’on lise l’article de Paul Lafargue publié dans Le Socialiste et reproduit en partie dans la Petite République du mardi 11 juillet.