Page:La Revue blanche, t2, 1892.djvu/214

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misérable de la conservation —, l’idée prédominante de Nietzsche sur l’inadmissibilité de nos préjugés moraux s’impose.

La vie n’étant en elle-même essentiellement qu’un empiétement, une tyrannie, une exploitation, une destruction de tout ce qui entrave la libre manifestation, le développement de l’individu, il n’est plus permis de considérer l’emploi de ces moyens comme un abus. Ce serait infirmer la vie en ses fonctions organiques mêmes. Par conséquent notre idée préconçue du bien et du mal devient un non sens.

Mais pour concevoir comment cette fausse lumière a pu s’établir, il faut s’expliquer sur l’existence de deux morales distinctes : la morale de l’aristocratie et celle des esclaves (le troupeau).

L’aristocratie est une élite d’hommes forts, « de barbares », possédant une volonté inébranlable, ce « désir de puissance absolue, s’étant jetés sur des races plus faibles, plus paisibles. Sa prépondérance ne reposait pas seulement dans la force physique, mais aussi et surtout dans la force psychique, l’aristocrate était l’homme le plus parfait ou ce qui revient au même le fauve plus parfait. Car au fond de toute race aristocratique sommeille la bête féroce, « la superbe bête blonde, assoiffée de proie et de victoire, qui de temps à autre se réveille. »

Nietzsche cherche à prouver que dans presque toutes les langues, noble (dans le sens de « noble de cœur ») et bon sont des termes équivalents, et le mot noble étant une désignation de rang, il en conclut que c’est la caste des seigneurs qui a créé la prime notion du bien. D’ailleurs, la hauteur inaccessible d’où ils dominaient, les investissait seuls du droit de créer des « valeurs » (Werthe).

Toute leur morale (l’idée qu’ils se faisaient du bien) a sa racine dans une triomphante affirmation d’eux-mêmes. Elle illumine, embellit le monde, lui donne sa raison d’être. C’est la glorification de la vie,