Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fois — et voilà qui est déjà typique — le caractère immanent, la base grammaticale, syntactique et phonétique, est partout la même.

D’abord toutes les langues chinoises sont monosyllabiques, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de différence entre syllabe et mot ; chaque syllabe constitue un mot, chaque syllabe a en elle-même une signification. Or, même dans les langues les plus riches, le nombre des syllabes différentes possibles n’excède jamais onze cents. Il n’y aurait donc pas plus de onze cents mots possibles, nombre infiniment trop petit pour la langue d’un peuple civilisé. Alors les langues chinoises ont augmenté, quadruplé, parfois même octuplé le nombre de syllabes (et de mots) distinctes, en les différenciant à l’aide d’intonations diverses. Ainsi, par exemple, la syllabe « i », prononcée avec une intonation — nous dirions — affirmative, signifie le « désir » ; prononcée interrogativement, « déjà » ; d’un ton égal, « vêtement » ; d’un ton égal, mais plus bas d’une quinte, à peu près, que l’intonation ordinaire, « barbare ». Cet expédient ne suffisant pas, toutes les langues chinoises également recoururent à la juxtaposition de mots monosyllabiques pour désigner de nouvelles notions ; ainsi la juxtaposition de « fou », père, et « mou », mère, donne « fou-mou » parents ; ou « hien », loisir, et « hoa » langue :« hien-hoa », conversation.

Quant à la grammaire, elle n’existe pas. La syntaxe est tout. La place dans la phrase dénote le rapport entre les mots. Il y a ce principe général et commun à toutes les langues chinoises, que le caractérisant précède le caractérisé.

L’unité linguistique ne va pas beaucoup plus loin. La différence des langues chinoises est presque absolue pour l’oreille. Mais voilà l’écriture qui sauve l’unité.

On sait que l’écriture chinoise est idéographique comme nos chiffres. Elle n’exprime pas des mots, des complexes phonétiques qui symbolisent des idées ; mais elle symbolise immédiatement les idées mêmes ; elle a un caractère, si on veut, un hiéroglyphe distinct pour chaque idée. Ainsi que le chiffre « 8 » est compris indistinctement par un Russe, un Allemand ou un Français, sans qu’aucun ait besoin de connaître une langue étrangère, ni même une écriture phonétique (qui symbolise le son de la langue) : de même, celui qui connaît la notion symbolisée par le caractère chinois « ㄤ » — bipède — le comprendra sans savoir autre chose que sa langue maternelle ; le Chinois du Nord lira « jîn », le Chinois du Sud « yan ». le Japonais « hito », l’Annamite « nguoi ». le Russe « tchelavek ». l’Allemand « mensch ». le Français « homme ». Ainsi, toutes différentes que soient les langues chinoises parlées, les symboles visibles des idées — que l’on prononce différemment dans les différentes contrées — sont partout les mêmes.

C’est cette écriture difficile, mais admirable, qui est devenue peu à peu la véritable base, ou au moins le centre vital de la civilisation chinoise. On peut dire que, dans aucun cas, la civilisation d’un