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sibles, les intonations sont inconnues en Europe : et l’harmonie des vers d’une part, de l’idée d’autre part — et surtout l’harmonie entre la forme et l’idée — paraîtrait peut-être ridicule, si on la comprenait. Le petit vers suivant, dont je ne peux rendre ni l’aspect écrit, ni l’intonation, et dont je n’ose même traduire l’idée, est peut-être un des plus parfaits, au point de vue de cet art, que j’aie trouvés :

tiang kiâng, siang niâng, iâng hiâng tsiang ;
ki, nî, pi tchî, li mi.

Cet art formel n’est évidemment que le régal des connaisseurs. Il y a toujours une poésie idéelle, qui, il est vrai, pêche généralement par une certaine platitude, mais qui, à la fin du compte, vaut bien la « poésie d’épigones » dont l’Europe est parfois affligée…

Le poème suivant, communiqué par M. Imbau-Huart, donne à peu près une idée de cette poésie moderne. C’est une espèce d’élégie patriotique, publiée pendant la guerre du Tonkin et dirigée contre la France ; ce qui est bien chinois, c’est que le poète (il s’appelle Yuan-héou) excuse sa « véhémence satirique » dans une préface ; on jugera de cette véhémence tout à fait chinoise. Le titre du poème est Tsieu-jan yu li-kao.

Le busard est noir, et ses ailes courtes sont comme le fer ;
Il ne songe qu’à battre les autres oiseaux.

Parfois il chante à haute voix et ses ondulations coulent comme les sons du Houang ;


Mais quand les oiseaux l’entendent leur foie et vésicule de fiel se déchire
Dans mon jardin, ou les bambous et les outong entremêlent leurs branches.
Les oiseaux font résonner leur gazouillement, et causent.
Il y a là des merles, des grives, des milans;

Les paroles du grand perroquet et les accents du coucou ressemblent au son de la pierre sonore.


Le matin, comme les pécheurs, ces oiseaux appellent les gens et les font se lever.
Le soir, comme des guerriers, ils entonnent des chants de victoire.
La nuit, leurs sons mélodieux parviennent jusqu’à l’alcôve :
Mais pendant la journée, tout reste muet. — Pourquoi ?
On voit deux busards dans un nid, sur un outong élevé,
Où les branches étagées forment comme un vase.
Pendant que la femelle couve les œufs, le mâle s’amuse à chanter.
Il fait se lever de crainte les oiseaux des bois qui se cachent,

Mais il attire aussi le jeune homme qui, d’un coup de bâton, brise les œufs dans le nid


Le plomb et les balles sifflent ; le mâle et la femelle se séparent.
S’enfuient tout droit, furieux contre l’audacieux,
Et disparaissent bientôt dans la buée de l’horizon
À minuit, effrayé d’un rêve, j’écris ces vers. —
Mais je sais que les paisibles oiseaux reviendront !

Il existe encore des hommes qui, comme Tche-chouan, savent rassembler les oies ombrageuses !


Il en existe, qui comme Tszhe-king savent chasser les tigres et les hyènes !
Ne voyez vous pas que le calme va renaître, la puissance nationale refleurir ?
Les outongs élevés et les bambous touffus attirent le phénix !

Tous les oiseaux suivront, le phénix ! Gaîment, ils voltigeront du haut du ciel sur la terre !


Et la race des hiboux ne causera plus de désastre