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le « tourniquet »
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diront : « ces gens sont inintéressants, ils n’ont que ce qu’ils méritent, ce sont des brutes qui font leur malheur elles-mêmes », nous, qui avons été disciplinaire, nous, qui souvent avons été placé devant ce terrible ultimatum, nous, qui avons vécu de longs mois avec ces esclaves — non en psychologue amateur de perversité, mais en esclave, mais en prolétaire. — nous pouvons dire en toute assurance : les disciplinaires qui passent volontairement au conseil de guerre sont victimes des gradés au même titre que ceux qu’on traîne devant les juges. Pour eux, la discipline est un bagne, le pénitencier ou les travaux publics, d’autres bagnes ; en voulant changer de chiourme, ils jouent simplement quelques années de leur vie pour éviter de la sacrifier tout entière. Lorsqu’un disciplinaire fait exprès de passer au conseil, c’est qu’il sent sur ses talons la meute galonnée qui le harcèle et s’apprête à l’acculer : il dépiste la fatalité.


LE BRIS DE CLOTURE

Le bris de clôture confirme et commente ce que nous venons de dire à propos du refus volontaire.

Le bris de clôture se commet dans un but spécialement militaire.

Le bris de clôture est un instrument délicat qui, pour être utile, ne peut être manié que par un expert. C’est l’évitée qui amortit l’abordage, localise les avaries, empêche le bâtiment de couler à pic, mais quel doigté dans la manœuvre pour réussir ! Le vrai camisard, celui que quelques mois déjà ont initié aux mœurs, aux habitudes des gradés qui le commandent, celui-là seulement peut narguer le refus d’obéissance avec le bris de clôture.

Voilà, en effet, le but du bris de clôture: tomber sous le coup de l’article 456 du Code pénal militaire au lieu de l’article 218.

Avec le premier, on risque tout au plus six mois de prison, le second vous menace d’un an à deux ans de prison.

Lorsqu’un disciplinaire, faisant le bal, voit que le gradé qui le commande va le faire refuser. — s’il passe à portée d’une fenêtre, il donne un coup de crosse dans un carreau, ou arrache une planche de palissade, bref il s’efforce à détériorer tout ce qui peut être défini clôture.

Il est fort difficile de faire comprendre d’une manière claire et concise les difficultés d’un bris de clôture accompli dans des conditions devant assurer la réussite.

Tout d’abord, il faut parfaitement connaître le gradé qui vous commande, savoir les heures où il prend ses absinthes et l’état d’excitabilité et de nervosité dans lequel le met l’alcool ; savoir s’il n’a pas eu de punitions ou des désagréments dans le service qui le prédisposeraient à se venger sur un disciplinaire. Il faut pour ainsi dire deviner ses intentions, penser avec lui.

Par exemple : si on commet un bris de clôture trop près du gradé,