Page:La Revue blanche, t24, 1901.djvu/11

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’Ame chinoise
essai d’éthnopsychologie[1]
I

C’est presque un axiome aujourd’hui, que les données fournies par la science des religions sont les seules bases possibles pour une psychologie ethnique. Ce principe est au moins contestable : les érudits auxquels on le doit, déchiffreurs de vieux bouquins énigmatiques, excellents connaisseurs de l’ancien Orient, ne sont point par cela seul de parfaits ethnopsychologues. « La religion est le miroir de l’âme populaire ». — Soit ; encore reste-t-il qu’une même religion peut refléter plusieurs âmes, et qu’une même âme peut se mirer aussi dans plusieurs religions.

Si quelqu’un usait des procédés familiers à la science des religions pour construire une psychologie du Français, des dogmes du catholicisme, il dégagerait sans doute un type mental plus semblable à l’âme de saint Augustin, ou à celle de M. Brunetière, qu’à l’âme du lecteur du Petit Journal — lequel pourtant se rapproche davantage du Français en soi. Il est vrai qu’il s’agit ici d’une nation civilisée : alors, paraît-il, la science des religions ne suffit plus, parce que l’âme populaire comprend d’autres éléments irréductibles aux phénomènes religieux. Ainsi l’on recule devant une psychologie du Français fondée sur sa religion où fraternisent la Genèse et Laplace, le Christ et Renan, la Trinité et les Mathématiques, Dieu et le Diable. Mais, sans une ombre d’hésitation, on applique le système aux peuples assez lointains pour que la réalité ne vienne jamais démentir la science, et pour que jamais l’analyse ne se heurte brutalement à cette synthèse imprévue qu’est la vie. Or, si la religion avait pour l’ethnopsychologie une importance décisive, ce serait seulement à propos de peuples si simples, qu’ils n’offrent aucuns phénomènes psychiques en dehors de leur soi-disant religion. C’est dire qu’à défaut de contre-épreuves, la méthode est déjà dangereuse quand on l’applique à la psychologie des Yakoutes et des Kamtchadales.

La religion mise à part, les seules manifestations ethnopsychiques sont : la langue, l’art, l’histoire politique et l’organisation sociale.

L’histoire politique ne peut renseigner que sur le mouvement collectif, sur l’élément dynamique de l’  « ethnopsyché ». Mais, jusqu’à présent, cette histoire a été pour une grande partie l’œuvre d’individus dont l’âme différait trop de celle de leur nation pour en être la quintessence. Personne ne fut moins français que Napoléon, moins bouriate que Djinghiz-Khan, moins russe que Catherine, moins espagnol que Charles-

  1. Relire, pour complément, l’article sur « la Littérature en Chine ». La revue blanche du 1er  septembre 1899.