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(comme tous les conquérants de la Chine), un nouveau et puissant chef de peuple : le Tsar.

L’empire des Tsars entra en communication avec le monde bouddhique du moment où ses frontières touchèrent à celles de l’Empire des Mandchous. Cela eut d’abord lieu en Transbaïkalie, où la haute chaîne montagneuse qui, du Pamir au Baïkal, défend l’accès de l’Asie centrale devient facilement franchissable. Le premier règlement de frontière se fit avec Khang-hsi en 1690. Et par suite de ce traité un chef de cosaques fonda, à cheval sur la frontière, le célèbre bourg de Kiakhta en plein pays bouriate. Les Bouriates sont probablement la tribu qui a donné naissance à Djinghiz-Khaghan. Ce fut et c’est encore un peuple de pure civilisation mongole et naturellement bouddhique.

Ayant senti, dès le premier contact, l’extraordinaire grandeur de la Chine en général, et la formidable puissance du bouddhisme en particulier, la Russie traita la dynastie mandchoue en égale, tint la civilisation chinoise pour équivalente à celle de l’Europe, respecta les nationalités et la foi des peuples vivant sur le territoire politiquement russe, bref imita en petit ce que les dynasties chinoises avaient dû faire en grand.

De cette façon, il était inévitable que de très bonnes relations s’établissent avec le clergé bouddhique aussi bien qu’avec la cour de Pékin. La Russie, en introduisant dans les contrées en question l’ordre social cosaque qui est une organisation essentiellement militaire, héritage justement des tribus mongoles qui avaient dominé en Russie, ne changea pas grand-chose aux habitudes de ces peuples. Le gouvernement eut l’idée ingénieuse d’appuyer officiellement le bouddhisme chez ses nouveaux sujets, et ce fut cette idée qui lui valut, en fin de compte, la suprématie en Asie. L’organisation de l’Église fut officiellement reconnue ; et le chef de l’église bouriate, dont le supérieur direct est le Maïdari Khoutouktou d’Ourga, lequel n’est que le vicaire du Dalaï-Lama, reçut une double investiture, d’abord spirituelle de Lhassa, puis politique de Saint-Pétersbourg. Ainsi s’établirent, il y a presque un siècle, les relations directes entre le Tsar et les Grands-Lamas. Le Khamha-Lama bouriate, sujet russe, fonctionnaire lhasséen, réside, aux frais du Tsar, dans le magnifique palais du Lac des Oies, à mi-chemin, à peu près, entre le Baïkal et Kiakhta ; c’est lui la véritable autorité ecclésiastique du pays. L’immense majorité des soldats cosaques du pays étant bouddhistes, ce sont des Lamas qui font prêter le serment de fidélité, eux que les soldats consultent, eux qui bénissent les drapeaux du Tsar, et ces drapeaux, en temps de paix, sont gardés dans le propre palais du Khamba-Lama ; on laisse les médecins bouddhiques exercer librement non pas seulement, parce que, en général, ils sont supérieurs aux produits hybrides des universités russes, mais, probablement, pour conserver l’amitié du clergé et, par suite, celle plus importante du Dalaï-Lama.