Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/366

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Tout cela est si soudain, si semblable à un éclair de fantasmagorie irréelle que, sans le flocon d’écume blanche qui reste à trembloter et à se mourir sur un sac de lettres après que la vision a passé et s’est évanouie, nous aurions pu douter peut-être d’avoir jamais ni vu l’homme ni le cheval.

Nous défilâmes bientôt grand train dans la Passe de Scott’s Bluffs. Ce fut quelque part par là que, pour la première fois, nous rencontrâmes sur notre route de l’eau d’alcali authentique et incontestable, et nous la saluâmes cordialement comme une curiosité de première classe à citer avec éclat dans nos lettres aux ignorants restés à la maison. Cette eau donnait à la route un aspect savonneux, et en beaucoup d’endroits le terrain semblait avoir été blanchi au lait de chaux. Je crois que cette étrange eau d’alcali nous ravit autant que toute autre merveille que nous ayons rencontrée ; je sais bien qu’elle nous rendit pleins de fatuité et de suffisance et plus fiers de vivre, après que nous l’eûmes ajoutée à la liste des choses que nous avions vues, nous, et que bien d’autres n’avaient pas vues. Dans une proportion réduite, nous appartenions à la catégorie des benêts qui escaladent sans nécessité les pics périlleux du Mont-Blanc et du Cervin et qui n’en tirent aucun plaisir si ce n’est la réflexion que ce n’est pas là une aventure banale. Mais une fois par hasard un de ces gens-là trébuche et descend comme une flèche, assis sur son séant, les longs flancs de la montagne, faisant fumer la croûte de neige derrière lui, bondissant de corniche en corniche, de terrasse en terrasse, entamant le sol au passage, glissant et bondissant toujours, s’enfonçant de temps en temps un iceberg dans le corps, lacérant ses vêtements, se raccrochant aux choses pour sauver sa vie, saisissant des arbres et les emportant avec lui, racines et tout, entraînant des petits rochers par-ci par-là, puis de gros blocs, puis des arpents de glaces et de neiges et des lambeaux de forêts, ramassant toujours en courant, ajoutant toujours à la masse et au tourbillon de sa grandeur, tandis qu’il se rapproche d’un précipice de mille mètres, jusqu’à ce qu’enfin il agite son chapeau superbement et chevauche dans l’éternité sur le dos d’une avalanche tumultueuse et furibonde !

Tout ceci est très joli, mais ne nous laissons pas emporter par l’enthousiasme et demandons calmement à cette personne quelles sont ses sensations le lendemain, de sang-froid, avec sept ou huit cent mètres de neige et de débris sur le corps.

Nous traversâmes les collines de sable auprès de l’endroit du