Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/368

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relle et nous jouîmes d’un grand malaise tout le temps que nous restâmes dans ces parages, sachant que beaucoup d’entre les arbres que nous rasions à portée de bras abritaient un ou deux Indiens en embuscade. La nuit précédente, un Indien à l’affût avait envoyé une balle à travers la casaque de l’exprès à cheval, mais lui avait continué sa route tout de même parce que les exprès à cheval n’avaient pas le droit de s’arrêter ni de s’occuper de pareils détails avant d’être tués. Tant qu’il leur restait du souffle, leur consigne était de rester à cheval et de marcher, les Indiens les eussent-ils guettés depuis huit jours et fussent-ils tout à fait à bout de patience.

Environ deux heures et demie avant notre arrivée à Laparelle, le chef de station avait tiré quatre fois sur un Indien, mais, disait-il d’un air scandalisé l’Indien, « s’était trémoussé et avait fait rater tout, et les munitions sont abominablement rares, pourtant. » La déduction la plus naturelle qu’impliquait son langage était qu’en « se trémoussant » l’Indien s’était octroyé un avantage déloyal. La voiture où nous étions avait un trou circulaire à son avant, souvenir de son dernier trajet dans la région. La balle qui le fit blessa légèrement le cocher, mais il n’en faisait pas grand cas. Il disait que le vrai endroit pour tenir un homme « réveillé » était là-bas chez les Apaches, sur la grande ligne du sud, avant que la Compagnie n’eût transféré l’itinéraire de la poste plus haut vers le nord, sur la ligne actuelle. Il disait que là-bas les Apaches le tourmentaient perpétuellement, et qu’il fut sur le point de mourir d’inanition au milieu de l’abondance parce qu’il était si troué par leurs balles qu’il « ne pouvait plus garder sa nourriture ». Les dires de cette personne rencontraient une incrédulité générale.

Nous tirâmes les rideaux bien soigneusement ce premier soir dans le pays des Indiens hostiles, et nous couchâmes sur nos armes. Nous dormîmes un peu dessus, mais la plupart du temps nous y étions seulement couchés. Nous ne causions guère, et nous restions cois, aux aguets. La nuit était d’un noir d’encre et par moment pluvieuse. Nous étions entre des bois, des rochers, des collines et des gorges, — si renfermés par le fait, qu’en regardant par la fente du rideau nous ne pouvions rien discerner. Sur le siège, le cocher et le conducteur se tenaient tranquilles, eux aussi, ou ne parlaient qu’à de longs intervalles, à voix basse, comme on le fait au milieu de dangers invisibles.

Nous écoutions les gouttes de pluie clapoter sur l’impériale,