Page:La Revue blanche, t29, 1902.djvu/468

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mais nous ne constatons que des transformations, pas de créations de mouvement. Nous sommes nous-mêmes des agglomérations transitoires et perpétuellement changeantes de matière en mouvement ; le mouvement extérieur à nous retentit sur celui de nos éléments propres et voilà comment nous connaissons le monde.

Nous pouvons comparer entre eux certains phénomènes qui agissent sur nous d’une manière analogue ; toutes nos explications sont des comparaisons, mais toute comparaison n’est pas légitime ; nous venons de voir que la Preuve de saint Thomas repose sur la notion erronée d’une création de mouvement dont nous n’avons aucun exemple dans la nature. La fameuse Preuve de l’horloger est aussi peu valable. « De même que l’horloge nécessite un Horloger, de même le monde nécessite un Dieu. »

L’horloger n’a rien créé ; agglomération transformatrice de mouvements, il a transformé en horloge des matériaux préexistants et préparé une synthèse du mouvement de ces matériaux qui se traduisit par le mouvement de l’horloge ; au contraire, Dieu aurait fait le monde avec rien, ce qui n’est pas du tout comparable au cas de l’horloger. Mais justement, me dira-t-on, c’était bien plus difficile et cela prouve la toute-puissance de Dieu. C’était même trop difficile, répondrai-je.

C’est un travers de l’esprit humain que de se poser des questions comme celle de l’origine de la matière. Quelle réponse appelle cette question ? Évidemment une comparaison avec quelque chose de connu, avec l’origine d’un animal, d’un cours d’eau, etc… Or, il est certain a priori qu’aucune de ces comparaisons ne sera légitime ; on les fait néanmoins, beaucoup de gens trouvant cela scientifique, et c’est ainsi que les petits enfants des écoles religieuses sont plus instruits que les plus illustres philosophes qui refusent de se payer de mots.

L’abbé Hébert conclut donc que les Preuves de saint Thomas sont des sophismes ; il ne peut pas croire à un Dieu personnel : l’existence du mal lui paraît en contradiction avec celle de Dieu : « Il est devenu à jamais impossible de dire en les prenant à la lettre, ces mots : Je crois au Père céleste, à l’amour Infini créateur de la phtisie, de la peste, du cancer, des cyclones et des volcans [1]… » J’aime mieux le raisonnement que fait le même auteur quelques pages plus loin (p. 11) : « Conclure que le divin

  1. Op. cit. p.5.