Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/433

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que générale que toute substance alimentaire devient vénéneuse quand sa concentration dans le milieu où vivent les éléments cellulaires dépasse certaines limites.

Il y a poisons et poisons ; l’alcool qui apparaît dans le moût de bière arrête la nutrition de la levure dès qu’il a atteint une certaine concentration, mais la levure qui a ainsi été saturée d’alcool n’a pas perdu pour cela ses propriétés de levure ; si on la transporte dans un moût neuf, elle recommence à se nourrir et à se multiplier. L’alcool est donc un poison temporaire pour la levure de bière ; encore ceci n’est-il vrai que si sa concentration dans le liquide ne dépasse pas une certaine limite. Si l’on plonge de la levure de bière dans de l’alcool pur, elle est tuée, c’est-à-dire qu’elle perd pour toujours la propriété de se nourrir et de se multiplier ; ce n’est plus une chose vivante.

Cet empoisonnement définitif se produit toujours avec certains poisons dès que leur concentration est devenue suffisante pour arrêter complètement la nutrition d’une cellule ; par exemple les sels d’argent tuent pour toujours l’aspergillus du moment qu’ils sont assez concentrés (1/1 600 000) pour arrêter son développement.

On peut réserver le nom de poisons proprement dits à ces substances qui produisent uniquement des empoisonnements définitifs et appeler anesthésiques celles qui, à un certain degré de concentration, suspendent seulement pour un temps l’activité nutritive des cellules ; l’alcool, le chloroforme, l’éther, entrent dans cette dernière catégorie relativement à un grand nombre d’espèces vivantes. Mais cela n’empêche pas que, à un degré plus élevé de concentration, ces anesthésiques produisent un empoisonnement définitif. Aussi l’alcool, aliment de choix pour le mycoderme du vinaigre, peut l’anesthésier s’il est plus concentré et l’empoisonner définitivement s’il est pur. Il faudrait faire tout un cours de biologie pour expliquer les différences entre l’action anesthésique et l’action vénéneuse définitive. Je me contente de signaler ici le danger qu’il y a à affirmer (sauf dans le cas des poisons qui donnent uniquement un empoisonnement définitif, comme le bichlorure de mercure) que telle substance est, pour une espèce donnée, un aliment ou un poison, sans spécifier le degré de concentration…

Il y aurait encore une modification à introduire dans la notion d’aliment à propos des espèces unicellulaires ; certaines substances, non directement utilisables par les cellules, peuvent le devenir après qu’elles ont été transformées sous l’influence de