Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/47

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été plutôt religieuse ; étant jeune je n’étais ni pour ni contre les curés ; je ne m’occupais pas d’eux. Je désirais gagner ma vie honnêtement, devenir un brave homme, et voilà tout. Un grand chagrin m’a donné mon premier accès d’anticléricalisme. Ils ont ensorcelé ma nièce, la fille de mon frère, parce que sa mère lui avait laissé une grosse fortune et tous nos efforts ont été vains pour l’arracher de leurs griffes ; elle est entrée dans un cloître ; c’était presque ma fille, voyez-vous, et une créature si charmante ! Ç’a été le premier coup ; après cela, je l’avoue, je n’ai plus été impartial dans mes appréciations ; les curés avaient plongé ma famille dans le deuil et condamné une belle jeune fille à la réclusion perpétuelle, uniquement pour lui prendre son argent ; ce ne pouvaient être que des bandits. Peu de temps après, j’ai eu encore affaire à eux à propos d’une malheureuse servante que j’ai accouchée ; elle avait été rendue mère par son maître, un gros propriétaire campagnard, puis renvoyée étant enceinte ; le curé a défendu de lui donner des secours et a déchaîné contre elle le mépris de la population. Une semaine après ses couches, elle s’est noyée avec son enfant dans une fontaine, un jour que celui qui l’avait mise à mal dînait justement au presbytère. Ce curé avait la réputation d’un fort honnête homme : il faisait beaucoup de bien ; pour moi, c’est un scélérat. Et cependant, il a cru bien faire ; il a enseigné ce qu’on lui a appris. La loi de l’Église est impeccable ; celui qui l’enfreint doit être puni. Qu’importe l’humanité pourvu que l’Église triomphe !

» Et voilà pourquoi, continua le docteur en s’animant, je prétends que les meilleurs prêtres sont les plus dangereux ; ils sont écoutés du public parce qu’on sait qu’ils sont bons ; et en effet ils répandent leurs bienfaits sur tous ceux qui sont en règle avec l’Église ; mais ils sont sans pitié pour tous ceux qui enfreignent sa morale factice ; ils sont prêtres et non hommes ; et quand on les voit sans pitié, eux si pitoyables dans tant d’autres cas, on ne doute pas qu’il faille en effet être sans pitié ! « Puisque M. le curé qui est si bon ! » Toutes les fois qu’il y a eu infanticide on devrait condamner le curé et non la mère coupable !

» Et chaque jour, depuis qu’un premier méfait m’a ouvert les yeux, j’ai eu de nouvelles occasions de constater tout le mal que fait cette religion, douce au riche et au puissant, rude, terrible au pauvre ; je n’ai peut-être pas de raison scientifique pour être anticlérical, mais je le suis ! oh ! je le suis bien !

M. Tacaud avait écouté avec la plus grande attention ce long réquisitoire.

— Il y a de bons prêtres, répondit-il, comme il y a des médecins