Page:La Revue blanche, t6, 1894.djvu/462

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veloppe le péché, qui l’excuse, qui l’atténue, mais qui sent un péché. Pourtant un esprit délicat et fin, en qui les choses trouveraient beaucoup d’écho, tirerait de cette méthode des œuvres excellentes. La critique lui serait un prétexte, voilà tout. Maintenant prenez un Lessing, un Brunetière. Toute œuvre d’art leur est un moyen, non pas d’appliquer leurs idées générales, mais de se les confirmer intérieurement. Leur théorie s’en appuie, mais pour eux seuls, pas pour nous. Ils sont exactement dans la position d’un métaphysicien. Il n’y a pas de preuve a posteriori d’une métaphysique. La critique devient aussi hypothétique, et d’une valeur aussi subjective qu’un livre de Hegel, par exemple. Les faits qu’ils invoquent leur donnent raison, mais ils ont choisi leurs faits d’après leur théorie même, et les mêmes faits confirmeraient aussi exactement une autre théorie quelconque.

Vous voyez bien maintenant qu’un France ou qu’un Lessing, que nous lisons avec plaisir parce qu’ils ont un talent considérable, ne nous servent cependant en rien. Ils ne servent qu’eux-mêmes. Je ne nomme pas Sainte-Beuve parce que son genre est un peu différent. Il rentre plutôt dans une autre catégorie. L’œuvre pour lui n’est pas un tout, n’a pas de valeur complète. À travers l’œuvre, il cherche l’homme. C’est une induction toujours téméraire, et dont nous ne devons jamais accepter les résultats. Cependant, nous ne vivons pas avec les œuvres, mais avec les hommes, et les hommes plus que les œuvres peuvent aider à notre développement intérieur. C’est donc un point de vue non seulement légitime, mais élevé. Mais il est bien clair que l’idée que nous nous serons faite de tel écrivain n’aura jamais sa valeur que pour nous, et si nous l’avons envisagé en tant qu’homme et non plus en tant qu’écrivain, nous ne devrons exprimer et répandre notre pensée qu’avec des ménagements infinis. La critique n’a plus ainsi que la valeur d’un effort moral. Le résultat accessoire est le plaisir que nous tirons de cette recherche, le résultat principal doit être un enseignement qui ne pourra profiter qu’à nous.

Maintenant vous savez comme moi que presque tous les cas que nous venons d’examiner sont des cas d’exception. La plupart du temps, nous critiquons simplement par besoin de réaction. Nous sentons une différence entre l’auteur et nous, et nous nous affirmons contre lui. Ce n’est peut-être pas la forme la plus élevée de l’esprit critique, mais c’est probablement sa forme originelle. Quelque chose nous choque, nous voulons le dire pour bien marquer la distinction entre