Aller au contenu

Page:La Revue blanche, t8, 1895.djvu/119

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

personnelle présence. Quand vous êtes entrée dans la chambre, pâle, hésitante et évidemment le cœur oppressé ; quand vos yeux restèrent, pour un bref moment, sur les miens, je sentis, pour la première fois de ma vie, et reconnus en tremblant l’existence d’influences spirituelles par delà les confins de la raison. Je vis que vous étiez Hélène – mon Hélène – l’Hélène de mille rêves. Celle que le grand Dispensateur de tout bien a prédestinée à être mienne – mienne seulement – si non maintenant, hélas ! alors dans le futur et pour toujours dans les cieux. – Vous parliez d’une voix vacillante et sembliez à peine consciente de ce que vous disiez. Je n’entendais pas les mots – seulement la douce voix qui m’était plus familière que la mienne…

Votre main restait dans ma main et mon âme tremblait toute d’une trémulante extase : et, sans la peur de vous déplaire, je serais tombé à vos pieds pour la plus pure, pour la plus réelle adoration qu’ait jamais reçue Idole ou Dieu.

Et quand, après, en ces soirées successives de toutes célestes délices, vous alliez ça et là par la chambre – tantôt assise près de moi, tantôt vous éloignant, tantôt la main posée sur le dossier de ma chaise, en un contact dont la surnaturelle vibration frémissait, à travers le bois insensible, dans, mon cœur – tandis que vous circuliez inquiètement par la chambre – comme si une profonde peine ou une joie plus profonde hantait votre sein – la tête me tournait sous le charme ensorcelant de votre présence, et ce n’était pas avec des sens simplement humains que je vous voyais et vous entendais. C’était mon âme seule qui vous discernait là…

Laissez-moi vous citer un passage de votre lettre : – « Quoique mon respect pour votre intelligence et mon admiration pour voire génie me rendent en votre présence semblable à un enfant, je suis, vous n’en êtes peut-être pas averti, votre aînée de plusieurs années… » Mais admettons que ce que vous dites là soit exact. Ne sentez-vous pas dans l’intime cœur de votre cœur que l' « amour des âmes », dont le monde parle si volontiers et si vainement, est, en notre cas du moins, la plus grande, la plus absolue des réalités ? Ne comprenez-vous pas – je le demande à votre raison, chère, non moins qu’à votre cœur – ne comprenez-vous pas que c’est ma nature divine – mon être spirituel qui brûle de s’unir au vôtre ? L’âme a-t-elle un âge, Hélène ? L’Immortalité peut-elle faire attention au Temps ? Ce qui ne commença jamais et jamais ne finira a-t-il à se soucier des quelques pauvres années de sa vie incarnée ? Ah ! je pourrais presque