Page:La Revue blanche, t8, 1895.djvu/121

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pourquoi j’ai des ennemis. Si votre connaissance de mon caractère et de ma carrière ne vous met pas en mesure de répondre à la question, du moins ne me convient-il pas de vous souffler la réponse. Qu’il me suffise de dire que j’ai eu l’audace de rester pauvre, soucieux avant tout de garantir mon indépendance – que, néanmoins, dans les lettres, qu’à un certain point et à certains égards, j’ai été un auteur « à succès » – que j’ai été un critique – un critique honnête avec intransigeance et, sans doute, en maints cas, amer – que j’ai exclusivement attaqué – lorsque j’ai attaqué – les plus hauts personnages – et que – tant dans la littérature que dans le monde, je me suis rarement interdit d’exprimer, soit directement, soit indirectement, le parfait mépris que les prétentions de l’ignorance, de l’arrogance et de l’imbécillité m’inspirent. Et vous qui savez tout cela – vous me demandez pourquoi j’ai des ennemis. Ah ! j’ai cent amis pour un ennemi, mais, ne l’avez-vous donc jamais remarqué ? vous ne vivez pas parmi mes amis.

Si d’ordinaire vous lisiez mes critiques, vous verriez pourquoi les gens que vous connaissez si bien me connaissent si mal et sont mes ennemis. Vous rappelez-vous avec quel profond soupir je vous ai dit : « Mon cœur est lourd, car je vois que vos amis ne sont pas les miens ?… »

Mais la cruelle phrase de votre lettre ne m’aurait pas blessé

— n’aurait pas pu me blesser aussi profondément si mon âme n’ayait reçu ces assurances de votre amour que si sauvagement – si orgueilleusement – et, je le sens aujourd’hui ; si présomptueusement j’entretenais. Que nos âmes soient une, chaque ligne que vous ayez jamais écrite l’atteste – mais nos cœurs ne battent pas à l’unisson.

Que nombre de gens m’aient, devant vous, déclaré un homme sans honneur, cela irrésistiblement met en jeu un instinct de ma nature – un instinct que je sens être l’honneur, quoi qu’en disent des gens sans honneur, et qui me défend de vous insulter désormais de mon amour.

Pardonnez-moi, Hélène excellente et uniquement aimée, s’il y a quelque amertume dans mes paroles. Nulle place n’est en mon âme pour un autre sentiment que l’adoration envers vous. C’est mon Destin que j’accuse. C’est ma malheureuse nature…