Page:La Revue blanche, t8, 1895.djvu/122

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

À Mme  Whitman

14 novembre 1848.

Ma très chère Hélène mienne, – Si bonne, si fidèle, si généreuse – si introublée parmi tout ce qui eût troublé quelqu’un qui eût été moins qu’un ange : – adorée de mon cœur, de mon imagination, de mon esprit – vie de ma vie – âme de mon âme, chère, très chère Hélène, de quelle façon vous remercierais-je comme je le dois.

Je suis calme et tranquille, et, sauf la hantise, d’une ombre étrange de malheur en route, je serais heureux. Que je ne sois pas suprêmement heureux, même quand je me sens au cœur votre cher amour, me terrifie. Que peut signifier cela ?

Peut-être, toutefois, n’est-ce que la nécessaire réaction de telles émotions terribles.

Il est cinq heures, et le bateau arrive avec vitesse à la jetée. Je partirai par le train qui quitte New-York à 7 heures pour Fordham. Je vous écris pour vous montrer que je n’ai pas osé enfreindre la promesse que je vous ai faite. Et maintenant, chère, très chère Hélène, soyez-moi fidèle…




À « Annie »

Fordham, 16 nov. 1848.

Ah ! Annie, Annie ! mon Annie ! Quelles cruelles pensées ont dû vous torturer le cœur, pendant ces quinze derniers jours, quinze jours sans nouvelles de moi, sans même un mot vous disant que je vivais encore… Comment vous expliquer l’amère, amère angoisse qui m’a torturé depuis que je vous ai quittée ?

Vous avez vu, vous avez senti dans quelle agonie de douleur je vous ai dit adieu – vous vous rappelez mon air de noire détresse – et tout ce désastreux présage de malheur. En vérité – en vérité, il me semblait que la Mort approchait et que j’étais investi par l’ombre qui la précède… Je vous disais : « C’est pour la dernière fois, jusqu’à ce que nous nous rencontrions dans les cieux. »

Je ne me rappelle rien distinctement à partir de ce moment-là… enfin je me trouvai à Providence. J’allai me coucher et pleurai durant une longue, longue, hideuse nuit de désespoir. – Quand le jour parut, je me levai et tentai de calmer mon esprit par une marche rapide dans l’air froid et vif, – mais tout était en vain – le Démon me tourmentait encore. Finalement, je me procurai deux onces de laudanum, et, sans retourner à mon hôtel, je pris le train pour Boston. Dès mon