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LES TABLETTES D’ÉLOI
Voyage à Nice.

— Présentez-vous avec mon Guide, et dites au maître d’hôtel : je viens de la part de M. de Conty.

— Je fais mieux, dit Éloi, et je crie d’une haleine : je viens de la part de MM. de Conty, Joanne, Baedecker et Stéphen Liégeard, auteur de La côte d’azur, ouvrage couronné par l’Académie française (Prix Bordin).

— Donnez-vous donc la peine d’entrer, me dit l’hôtelier courbé jusqu’à terre : voici votre maison et nous vivrons en famille. Soyez le bienvenu, avec votre argent.


— À quoi me servirait d’être poli ? se dit l’Anglais. Le sot Français ne l’est-il pas pour nous deux ? Il s’assiérait sur une fesse dans la crainte de gêner mes colis.


Valence. Déjà déçu : pas une seule orange en vue !


Arles. Ah ! une mouche !


Vous vous dites : cet homme libre, heureux de voyager, admire chaque site et s’approvisionne de belles images.

Point : je songe au pourboire que j’ai donné ou que je donnerai. Ce garçon me met mon pardessus par-dessus la tête ; il me dérobe les manches ; il n’est pas content. Ce soir, je cacherai le pourboire sous ma serviette.

Et ce marin qui vient de me faire faire le tour du bateau chinois, a-t-il assez ? Il doit avoir assez. Moi, j’aurais assez.

Et ce brave homme auquel je dis, sans comprendre un mot de ses renseignements : « oui, oui, merci, merci, » il meurt de soif, on le voit bien.

Je jette encore mon argent par la fenêtre à ce mandoliniste qui s’arrête net de jouer, ramasse la boule de papier, la développe, cherche si rien n’a roulé dans un coin et, désappointé, recommence : c’est trop peu pour qu’il se taise.

O froid, dédaigneux, redoutable cocher, depuis que tu me promènes, je calcule : jamais je n’oserai te régler. J’aime mieux ne plus descendre, et je garde ta voiture à vie, jusqu’au bout du monde !


Toi, par exemple, tu peux te taper. Tu m’agaces, toujours sur mon dos, cognant à ma porte : « Monsieur veut-il qu’on le