Page:La Revue de France, tome 6, 1922.djvu/195

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
187
QUESTIONS D’HISTOIRE

en pure perte et s’étaient donné en Liutprand un roi entreprenant et énergique. Il avait fait d’abord quelques avances au pape, à qui il témoignait son respect avec un peu trop d’ostentation. Mais ses compatriotes avaient beau être passés au catholicisme, après avoir longtemps donné dans l’hérésie arienne, ils avaient beau s’être frottés de civilisation latine, ils restaient des barbares aux yeux des Romains, et, plus que toute autre chose, une idée devait sembler intolérable au pontife, en qui Liutprand lui-même saluait le chef de l’Église universelle : celle de voir Rome devenir la capitale d’un roi germanique et le siège de saint Pierre ravalé au rang d’un évêché lombard. À toutes les avances de Liutprand, le pape — il se nommait alors Grégoire II — avait répondu pas une fin de non-recevoir, et la guerre avait éclaté.

Guerre étrange, où la force matérielle était du côté lombard et où la papauté n’en avait pas moins réussi à l’emporter pendant un quart de siècle rien que par son ascendant moral ! À quatre reprises : en 728, 739, 742, 749, la seule vue du Souverain Pontife sortant de la Ville Éternelle à la tête de son clergé pour venir résolument, comme jadis Léon le Grand, à la rencontre des barbares avait suffi à éviter la catastrophe au moment critique où les troupes lombardes allaient enlever les dernières défenses de Rome, de Pérouse ou de Ravenne. Liutprand n’avait pas osé passer outre, et, après lui, le roi Ratchis avait poussé l’esprit de contrition jusqu’à abdiquer sans délai (749) pour aller expier dans la paix du cloître son audacieuse entreprise.

Mais le successeur de Ratchis avait été Astolf, dont l’esprit résolu ne s’embarrassait d’aucun scrupule. Dès 751, nous voyons le nouveau roi se jeter sur Ravenne, d’où l’exarque s’enfuit : la ville et toute la province tombent en son pouvoir ; la Pentapole subit le même sort ; après quoi, le conquérant se retourne contre le territoire romain (752). Pour gagner du temps, le pape Étienne II essaie de négocier ; mais sans succès. Astolf réclame la soumission pure et simple, et le bruit court qu’il se propose de faire couper la tête à quiconque résistera. Malgré le tragique de la situation, l’empereur n’a pu envoyer que de bonnes paroles et un diplomate, le « silentiaire » Jean. Il faut aviser sur l’heure : c’est du côté de la Gaule que le pape tourne ses regards ; c’est du roi Pépin le Bref qu’il se résout à implorer le salut.