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LA REVUE DE FRANCE

Et même, comme le pape avait profité du désarroi dans lequel l’arrivée des troupes franques avait jeté le gouvernement lombard pour obtenir des habitants de Spolète et de ceux de Città di Castello (au nord de Pérouse) la reconnaissance de sa suzeraineté, Charles avait fermé les yeux sur ce nouvel empiétement.

Mais lorsque, quelques semaines après, Charles a ceint la couronne de fer des rois lombards, les choses commencent à lui apparaître sous un autre jour. Il constate, lui aussi, l’inconvénient d’un État pontifical compact, barrant la route des grands-duchés du centre et du sud et, sans vouloir revenir sur ce qui a été formellement promis, il se montre peu enclin à consentir de nouveaux sacrifices et à étendre les limites primitives du domaine de saint Pierre.

Il a d’autant plus lieu de se méfier que le pape est insatiable : il n’est pas une province sur le pourtour de ses États, où, à l’entendre, il n’ait des titres à faire valoir. Tout au début, il ne s’était agi que de protéger Rome et les abords de Rome ; puis il avait bien fallu y joindre la route militaire menant vers Ancône et Ravenne ; ensuite les régions dont ces deux villes étaient les capitales ; après quoi encore, par une pente naturelle, le pontife avait travaillé à reconstituer les anciennes provinces démembrées par la conquête lombarde. Mais cela pouvait mener loin : le duché romain n’avait-il pas été créé avec des morceaux de l’ancienne Tuscie, de l’ancienne Sabine et de l’ancienne Campanie ? L’Exarchat, avec des morceaux de la Flaminie, de l’Émilie et de la Vénétie ? Allait-on donc maintenant revendiquer ces provinces tout entières ? — Il semble qu’on ait en effet caressé ce rêve à la cour pontificale assez peu de temps après avoir obtenu de Charlemagne la confirmation des « donations » antérieures[1].

Et pourquoi se serait-on arrêté en si bonne voie ? Était-il ad-

    morer les principaux événements de son pontificat. À l’en croire, Charlemagne aurait « confirmé » au pape la possession d’immenses territoires dont il n’avait pas été question jusqu’alors, entre autres, toute la Toscane avec la Corse, une nouvelle et importante portion de l’Émilie, la Vénétie, l’Istrie, ainsi que les deux duchés de Spolète et de Bénévent. Ce qu’on peut dire de plus favorable à la décharge de ce chroniqueur, c’est qu’il a pris ses désirs pour des réalités ; mais il est impossible de retenir autre chose de son récit que le fait même de la confirmation solennelle par Charlemagne des concessions de son père. — Heureusement, nous avons, pour nous renseigner, d’autres témoignages d’une indiscutable valeur : les lettres adressées par Hadrien au roi franc pour réclamer l’exécution des « promesses » faites à Rome en 774. Ces lettres nous permettent de déterminer avec une suffisante précision la portée des engagements pris alors par Charlemagne. Il est prudent de s’y tenir.

  1. D’où les limites fantaisistes qu’assigne le biographe d’Hadrien dans le Liber pontificalis à l’État de saint Pierre (voir la note précédente).