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LA REVUE DES LETTRES

Voilà donc la dédicace devenue une valeur matérielle. Mais la dédicace ne suffit bientôt plus aux amateurs les plus passionnés. Ils veulent encore des documents sur l’œuvre, une lettre de l’auteur, ou une lettre sur l’auteur d’un autre auteur connu. Les plus ardents constituent même tout un dossier sur l’ouvrage et celui qui le signa. Ici, la matière, bien entendu, n’a plus de limites. On peut annexer dix, vingt, cinquante pages manuscrites à un livre. On le fait donc relier — de préférence bellement — avec tout ça. L’ouvrage est devenu une pièce unique, un exemplaire précieux et désiré. Et comme la bibliophilie est une charmante manie qui s’illimite à mesure qu’on la satisfait, l’exemplaire unique, enrichi de documents manuscrits, tentera les plus riches amateurs et le jeu de la concurrence lui donnera une cote très élevée…

Le collectionneur critique jouit donc des deux plus grandes satisfactions auxquelles le Français soit sensible, il reçoit gratuitement des choses rares et il peut s’enrichir à les garder.

L’auteur dont vous me parlez, et qui vend sa bibliothèque, fut un collectionneur habile, soigneux, passionné et pour qui la notion de valeur ne restait jamais vaine. Il possède donc plusieurs centaines d’œuvres introuvables, datant, les unes de la jeunesse d’hommes devenus illustres, les autres de choix bien faits parmi les publications à tirage restreint des trente années ultimes. Il a enrichi tout cela de textes originaux, lettres ou critiques, et même de pièces dont il est l’auteur. De ce chef, sa collection a une valeur énorme et l’on pense qu’elle va se vendre plus d’un million.

Dans le temps que je vous écris, au surplus, dix, cent, mille amateurs l’imitent et annexent sans répit des documents manuscrits à leur bibliothèque. Dans dix, vingt, trente ans, ils feront eux aussi « leur vente ». Auront-ils gardé, dans le fouillis des parutions quotidiennes, les ouvrages destinés à « faire prime », la plupart, non ! C’est qu’il faut