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SUR CASANOVA

pas, lui aussi, plusieurs fois ? Ainsi la figure de notre héros se précise enfin. Il ne fut ni plus ni moins fripon que la jeunesse assoiffée d’or et de plaisirs qui vivait alors. Il n’avait par malheur pas de famille riche pour solder le coût de ses frasques. Je ne vois pas pourquoi on lui en tiendrait rigueur…

De l’honnêteté avec les femmes, je ne parlerai pas. On sait qu’en amour, la sincérité est toujours provisoire, et le désintéressement conditionnel. Casanova n’agit avec aucune de ses maîtresses autrement qu’en séducteur de notre gracieuse époque. Même avec la vieille marquise d’Urfé (qui n’était pas si vieille que ça) il ne m’apparaît pas, en son escroquerie, plus coupable que tant de nos contemporains qui font payer, par exemple, par la dot d’une nouvelle épouse, la retraite d’une vieille maîtresse. Et ce qu’il imagina est véniel devant l’acte de ce parlementaire lequel se fit verser un demi-million pour épouser une femme qui l’aimait, refusa de la voir et se fit repayer un demi-million pour accepter le divorce. Or, ces choses, ni tant que je ne veux énumérer, ne semblent point déshonorer leurs auteurs. Pourquoi donc veut-on ensuite honnir Giacomo d’avoir enjôlé une occultiste avec des tours de passe-passe ? Et le médecin qui se fait verser cinquante mille francs pour une opération qu’il sait inutile ? Et l’avocat qui réclame autant pour faire obtenir un non-lieu qu’il sait déjà signé ? Pourtant, nous les coudoyons, ces gens-là. Ils portent beau, sont estimés, sont députés et demain ou hier ministres. Alors, Casanova serait un bouc émissaire ? Je dis non !

Qu’on ne s’y trompe pas. Je ne prétends aucunement ranger parmi les actions estimables les petites canailleries dont les Mémoires sont remplis. Je veux les situer à l’échelle convenable. J’ai dit que nombre d’entre elles étaient alors quotidiennes et n’indignaient point, que d’autres sont toujours de pratique admise, avec les modifications que les mœurs comportent, sans déshonorer quiconque. J’ai donc