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courbes et de leurs formules, qui font le mathématicien. S’il avait appliqué, toute sa vie, de pareils dons à un seul domaine scientifique, il fut devenu un génie.

Mais pour tempérer cet aride savoir, il gardait le goût des poètes anciens, une connaissance approfondie des classiques du temps d’Auguste et une mémoire farcie de vers applicables à des contingences neuves. Il aimait, cela se voit, à confronter un stiche d’’Horace ou de Virgile à n’importe quelle sensation vive. Cela maintenait en lui une grande fraîcheur de contact avec la vie. Et c’est dans ce double maniement des abstractions et des vers latins que se manifeste chez lui une maîtrise mentale, à laquelle je ne connais point d’équivalents dans la littérature, si l’on excepte le géant des géants : Rabelais. Ainsi donc, les Mémoires de Casanova, à mes yeux, doivent être jugés, en témoignage du siècle xviiie, non point comme scrupuleusement loyaux, mais d’honnêteté courante, sans excès ni abus contre les éthiques d’alors. Leur valeur n’est point dans le pittoresque de canailleries cocasses et originales, propres à faire esclaffer les amateurs, mais dans la dignité spirituelle qui y domine et s’y atteste de bout en bout.

Il reste la question des aventures amoureuses à examiner.

Tout d’abord, je reconnais sans conteste leur agrément romanesque, et que les « erotica » condimentent avec un art infini les allées et venues européennes de notre héros. Évidemment, huit volumes de réflexions philosophiques, même ornées de citations et d’itinéraires, ne nous retiendraient point. L’amour est le sel des Mémoires.

Mais sied-il de croire pourtant que les qualités galantes et la puissance séductrice de Casanova aient été réellement hors pair ? La question est délicate assurément. En tout cas, je la résous par une négation.

À mon sens, Casanova, séduisant, sans nul doute,