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SUR CASANOVA

et aimant les femmes, ne fut qu’un amant courant comme il en est de tous temps et beaucoup. Ce qui le supériorie, c’est qu’il conta, devenu vieux, ses passions de jeunesse.

Jadis, comme aujourd’hui, vécurent des hommes qu’une impulsion amoureuse violente, l’absence d’inhibitions morales et des qualités physiques convenables poussèrent à exercer l’amour comme un apostolat. Ce que nous savons des diverses qualités de don Juan qui florirent sous l’ancien régime en France efface déjà beaucoup Casanova. Restif de la Bretonne lui-même, homme laid, et dont la propreté physique passe pour avoir été douteuse, posséda autant de femmes, et dans des conditions aussi extravagantes que l’élégant Giacomo.

Par conséquent, je ne tiens pas le Vénitien pour un amant de qualité surhumaine. Il eut des maîtresses, en grand nombre, bien choisies, et ses « courtoisies » eurent un heureux pittoresque qu’il contait bien. C’est tout. On trouverait à Paris même, aujourd’hui, des gens que leur activité ou les circonstances favorisent, certes, mais qui pourraient exposer des « tableaux » bien plus étendus, touchant des milieux plus variés, et d’un agrément dramatique ou humoristique aussi savoureux. Qu’est-ce à dire, sinon que la qualité propre des Mémoires dans cette rubrique résulte surtout de la précision, du ton et du réalisme de Casanova, c’est là qu’il est merveilleux et supérieur à tous les mémorialistes galants.

Pour conclure, me voilà obligée de revenir par conséquent sur la vertu essentielle et admirable de cet homme étonnant : sa souplesse d’intelligence. Un fait, absolument net et précis, peut sans se trouver dénaturé être conté de façon plate et grise, ou vivante et colorée. Casanova fut un homme exceptionnellement intelligent, qui sut surtout écrire et assouplir la langue française — puisqu’il la choisit pour écrire — de façon à se traduire parfaitement.

Sa vie fut vécue par dix, par cent, par mille hommes de son temps. Certains sans doute le dépassèrent par