Page:La Revue hebdomadaire, Septembre 1921.djvu/35

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boutons à couronne, et des officiers de Sa Majesté Impériale, et des Magyars avec leurs habits de velours et leurs toques à aigrettes. Ce petit-là me servira d’abbé. Adieu, l’abbé, c’est convenu, vous viendrez me chercher demain en voiture et nous irons en partie fine au Prater… mais vous serez en habit noir !

Chacun de ces mots m’entrait au cœur comme une épine. Un rendez-vous, un rendez-vous positif, pour le lendemain, premier jour de l’année, et en habit noir encore. Et ce n’était pas tant l’habit noir qui me désespérait, mais ma bourse était vide. Quelle honte ! vide, hélas ! le propre jour de la Saint-Sylvestre !… Poussé par un fol espoir, je me hâtai de courir à la poste pour voir si mon oncle ne m’avait pas adressé une lettre chargée. Ô bonheur ! on me demande deux florins et l’on me remet une épître qui porte le timbre de France. Un rayon de soleil tombait d’aplomb sur cette lettre insidieuse. Les lignes s’y suivaient impitoyablement sans le moindre croisement de mandat sur la poste ou d’effets de commerce. Elle ne contenait de toute évidence que des maximes de morale et des conseils d’économie.

Je la rendis en feignant prudemment une erreur de gilet, et je frappai avec une surprise affectée des poches qui ne rendaient aucun son métallique, puis je me précipitai dans les rues populeuses qui entourent Saint-Étienne.

Heureusement, j’avais à Vienne un ami. C’était un garçon fort aimable, un peu fou comme tous les Allemands, docteur en philosophie, et qui cultivait avec agrément quelques dispositions vagues à l’emploi de ténor léger.

Je savais bien où le trouver, c’est-à-dire chez sa maîtresse, une nommée Rosa, figurante au théâtre de Leopoldstadt. Il lui rendait visite tous les jours de deux à cinq heures. Je traversai rapidement la Rothenthor, je montai le faubourg, et dès le bas de l’escalier je distinguai la