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CHRONIQUES

connut de plus acariâtre et de plus violente. À part les serins et le chat persan, personne ne peut vivre chez lui : sa femme — pauvre créature effacée et terrorisée — est morte ; son fils, grand blessé de guerre, est parti en claquant la porte ; le despote s’est brouillé aussi avec son gendre, l’architecte parisien Alquier. Sa fille, Geneviève, revient seule de loin en loin affronter les reproches du vieillard toujours fumant de colère, et récriminant : « On le délaisse… Ses enfants sont dénaturés. » La jeune femme s’enfonce dans la mélancolie du sombre intérieur. Que peut-elle faire ? Elle est belle et faible. Elle a cette grâce pliante des êtres marqués pour l’amour et qui finissent toujours par être victimes. Quel que soit le drame qui se prépare, il ne peut que s’abattre sur cette nuque dorée et sur ces épaules fléchissantes.

Ce drame, une gouvernante introduite dans la maison va le tisser de ses mains cupides, patientes et sournoises. Renaude Vipreux est bien nommée : c’est une vipère ! qui s’en douterait ? Avec son manteau étriqué et son chignon, elle a l’aspect chétif d’une vieille fille de la bourgeoisie « qui a eu des malheurs ». Geneviève la prend en pitié : « Pourvu qu’elle reste ! M. Capdenat est si brutal… Aucune domestique n’a pu durer à son service ! » La jeune femme n’a pas vu la dureté des petits yeux jaunes. En quelques heures, ce regard luisant a tout scruté : sa beauté, son luxe, et jusqu’à son secret le plus intime. Geneviève, mal mariée, a une liaison. Vous devinez bien que Renaude surprend, dès le premier jour, une lettre amoureuse, et tient l’imprudente à sa merci. Nous pressentons en elle l’orgueil féroce, le pharisaïsme, toutes les dissimulations de la femme laide et humiliée.

Habile romancière, experte dans l’art de mener un récit, et de découvrir peu à peu la vérité psychologique, Mme Tinayre n’a garde de nous ouvrir dès le début ce cœur racorni que dévore une braise si ardente. Elle peint Renaude, telle que la voient les gens de Villefarge, qui louent ses mérites et son dévouement. À peine, de loin en loin, quelque menu fait décèle le travail secret de la gouvernante : elle s’est débarrassée des serins, du chat persan… puis d’une pauvre créature, Maria-la-Bossue,