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LA VIE LITTÉRAIRE

qui avait — soupirait-elle — des visions ! Petits coups d’état, mais qui trahissent une autorité s’insinuant dans tous les détails. Toujours réticente, avec son singulier mélange de servitude et d’ambition, elle poursuit son œuvre. Que désire-t-elle ? Sans doute, elle capte l’héritage de Capdenat. Mais il y a dans son cas bien autre chose qu’une banale histoire d’accaparement. Aux dernières pages, tout ce que nous pressentions se révèle enfin. Capdenat est mort. Geneviève, savamment torturée par l’adversaire, et s’enfuyant en auto, la nuit, le cœur affolé, dans un pays vertigineux, a trouvé dans un accident la délivrance de tous ses maux. La vieille fille est seule dans la maison désertée. Elle reste maîtresse du champ de bataille. Hallucinée, en tête à tête avec sa vie, avec ses péchés, elle erre comme une ombre de chambre en chambre. C’est le moment qu’a choisi Mme Tinayre pour prospecter jusqu’au fond cette âme rongée par le mal. L’analyse est très belle :

« Elle appelait « fierté » l’incoercible orgueil qui saignait en elle depuis l’enfance. Tout l’avait blessé, cet orgueil : la ruine des parents, le célibat imposé à la fille ardente et pauvre, la souffrance de vieillir sans avoir mangé à sa faim et bu à sa soif le pain et le vin de la vie, sans avoir eu d’autres champs d’action que la chambre d’une infirme, d’autre société que de petites gens, des prêtres, des religieuses… Être de la race des forts et se sentir entravée ! Être de la race des maîtres et servir !… quel supplice pour Renaude ! La déchéance, l’ignoble injure de Capdenat, et par contraste — fer rouge sur une plaie — cette révélation vivante de la beauté, du luxe, du coupable amour : Geneviève.

« Et moi, alors, et moi ?… Moi, qui n’ai rien eu que les miettes du repas, vieille, dépendante, humiliée, je n’aurai rien à dire ? Je devrai ne rien faire ? J’assisterai, passivement, à ce scandale ?… Non !… si le vice ne reçoit pas son châtiment, je douterai de la justice de Dieu. Je dirai que la chasteté, le dévouement et l’abnégation ne sont qu’une monnaie de singe. »

Ce n’est pas la première fois, dans la littérature féminine, que le vice prend le masque de la piété. Comme