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Page:La Rhétorique des putains, 1880.djvu/36

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thropes, malheureux… Je ne dis pas que tu passes d’une extrémité à l’autre ; tu as assez d’esprit pour éviter les excès et pour ne t’attacher qu’au milieu. Ah ! si j’avais de l’argent, je ne tarderais pas un instant à te procurer un ajustement de goût et avantageux à ta beauté… Oui, tu es assez bien faite, et d’une figure distinguée ; mais on ne regarde aujourd’hui qu’aux habillements. Quoique pauvre de biens, si tu étais parée… quelqu’un pourrait se présenter… tes traits, tes manières pourraient fixer son cœur… il saurait nous tirer de l’état affreux qui nous accable.

Encouragée par ce discours, je m’écriai :

— Ah ! mon père, je vois que la providence qui dirige tous les événements de ce monde, nous a ménagé une ressource et va seconder vos désirs. Hier, pendant que vous étiez dehors, au moment où je venais d’achever une neuvaine que j’avais faite à la Sainte-Vierge, une bonne femme, — et je lui traçai votre portrait — me porta cette bourse, où il y a bien des louis ; mon cœur et ma main refusèrent constamment ce don suspect ; mais elle eut la ruse de la laisser sur la chaise, comme par mégarde, en sortant.

Voilà, ma bonne, le premier mensonge qui a souillé ma bouche ; il était certainement écrit sur mon visage que je sentis tout en feu ; mais mon père n’y fit pas attention, ou fit semblant de ne pas s’en apercevoir.