Page:La Rochefoucauld - Œuvres, Hachette, t1, 1868.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40
RÉFLEXIONS OU SENTENCES

XXIV

Lorsque les grands hommes se laissent abattre par la longueur de leurs infortunes, ils font voir qu’ils ne les soutenoient que par la force de leur ambition, et non par celle de leur âme, et qu’à une grande vanité près[1], les héros sont faits comme les autres homme[2]. (éd. 1*.)


    cachent la mort, sans triompher d’elle. » — Voyez plus liant la maxime 21, et ci-après les maximes 46 et 504.

  1. Au lieu de : « ils font voir, etc., » on lit dans le Manuscrit : « cela fait voir manifestement qu’à une grande vanité près… » — Dans la 1er édition (1665), cette pensée est ainsi rédigée : « Les grands hommes s’abattent et se démontent à la fin par la longueur de leurs infortunes ; cela fait bien voir qu’ils n’étoient pas forts quand ils les supportoient, mais seulement qu’ils se donnoient la gêne pour le paroître, et qu’ils soutenoient leurs malheurs par la force de leur ambition, et non pas par celle de leur âme ; enfin, à une grande vanité près… »
  2. J. Esprit dit absolument de même (tome II, p. 210} : « À la vanité près… ils (les héros) sont faits comme les autres hommes. » — Montaigne avait déjà dit (Essais, livre II, chapitre xii, tome II, p. 215 : « Les âmes des empereurs et des sauatiers sont iectées a mesme moule. » — Pascal dit par deux fois : (article VI, 28 et 3o) : « Les grands et les petits ont mêmes accidents, et mêmes fâcheries, et mêmes passions. » — « Quelque élevés qu’ils soient (les grands hommes), si sont-ils unis aux moindres des hommes par quelque endroit. » — Vauvenargues dit à son tour (maxime 516, Œuvres, p. 448) : « Les grands rois, les grands capitaines, les grands politiques, les écrivains sublimes sont des hommes… » Mais dans sa Critique (p. 78), il répond en ces termes à notre auteur : « Lorsqu’un homme n’est pas assez fort pour supporter le malheur, je ne crois point qu’il puisse être capable d’une forte ambition, et surtout de celle qui fait supporter de longues infortunes : ce que M. de la Rochefoucauld appelle la force de l’ambition n’est donc autre chose que la force de l’âme, et l’auteur les sépare mal à propos. À une grande vanité près, les héros sont faits, dit-il, comme les autres hommes ; c’est encore abuser des termes que d’appeler l’amour de la gloire une grande vanité, et je ne conviens point de cette définition. D’ailleurs, plus un homme a de vanité, moins il est capable d’héroïsme ; il est donc faux de dire