Page:La Rochefoucauld - Œuvres, Hachette, t1, 1868.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
59
ET MAXIMES MORALES

trouble souvent, en nous faisant courir à tant de choses à la fois, que pour désirer trop les moins importantes, on manque les plus considérables[1]. (éd. 1*.)

LXVII

La bonne grâce est au corps ce que le bon sens est à l’esprit[2]. (éd. 2.)

LXVIII

Il est difficile de définir l’amour : ce qu’on en peut

  1. Var. : … les moins importantes, nous ne les faisons pas assez servir à obtenir les plus considérables. (1665.) — Sénèque (épitre xl) : Nihil… ordinatum est, quod præcipitatur et properat. « Rien de ce qu’on hâte et précipite ne saurait être bien ordonné. »
  2. L’annotateur contemporain fait observer, non sans raison, que le corrélatif de la bonne grâce du corps serait plutôt la délicatesse de l’esprit ; mais il est juste d’ajouter qu’au temps de la Rochefoucauld l’expression bon sens avait une signification plus étendue que du nôtre ; elle signifiait parfois le bon biais, la bonne et délicate façon de prendre les choses, et c’est apparemment dans cette dernière acception que l’auteur l’a employée. Quoi qu’il en soit, Corbinelli, qui avait fait des remarques sur une centaine de maximes de la Rochefoucauld, n’entendait pas celle-ci (Lettres de Mme de Sévigné, tome V, p. 609) ; il ne voyait pas quel rapport il peut y avoir « entre bonne grâce et bon sens ; » par contre, Bussy Rabutin la défendait (ibidem, p. 612). Quant à Vauvenargues, dans une première rédaction de sa Critique des Maximes de la Rochefoucauld, il qualifiait cette pensée de juste et lumineuse comparaison ; mais, en y regardant de plus près, il arriva bientôt à cette conclusion tout opposée (Œuvres, p. 80) : « Cette comparaison ne me paroît ni claire , ni juste. Un esprit sage peut manquer de grâce, comme il est possible qu’un homme, bien fait d’ailleurs, n’ait pas un maintien agréable , ou une démarche légère. » — Vient enfin la Harpe ; mais ce n’est pas sa remarque (tome VII, p. 268) qui éclaircira la question, « Cela ne serait-il pas plus vrai, dit-il, du goût que du bon sens ? Ce n’est pas que le premier ne suppose l’autre ; mais le bon sens tout seul ne donne point l’idée de la grâce, et le goût donne au bon sens une délicatesse d’expression, qui est pour l’esprit ce qu’est pour le corps l’aisance et la justesse des mouvements. »