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ET MAXIMES MORALES

LXXXVII

Les hommes ne vivroient pas longtemps en société, s’ils n’étoient les dupes les uns des autres[1]. (éd. 5.)

LXXXVIII

L’amour-propre nous augmente ou nous diminue les bonnes qualités de nos amis à proportion de la satisfaction que nous avons d’eux ; et nous jugeons de leur mérite par la manière dont ils vivent avec nous[2]. (éd. 1*.)

  1. Pascal (Pensées, article II, 8) : « La vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle : on ne fait que s’entre-tromper et s’entre-flatter… L’union qui est entre les hommes n’est fondée que sur cette mutuelle tromperie, » — Vauvenargues (maxime 522, Œuvres, p. 448) : « Les hommes semblent être nés pour faire des dupes, et l’être d’eux-mêmes ; » et (maxime 921, p. 491) : « Si les hommes ne se flattoient pas les uns les autres, il n’y auroit guère de société. »
  2. Cette pensée est le résumé de la longue réflexion, assez confuse, et çà et là peu claire par le rapport douteux des pronoms, que donnait la 1er édition (i665), sous le n° 101 : « Comme si ce n’étoit pas assez à l’amour-propre d’avoir la vertu de se transformer lui-même, il a encore celle de transformer les objets, ce qu’il fait d’une manière fort étonnante; car non-seulement il les déguise si bien qu’il y est lui-même trompé, mais il change aussi l’état et la nature des choses (Manuscrit : « … si bien qu’il y est lui-même abusé, mais soudainement il change l’état et la nature des choses » ). En effet, lorsqu’une personne nous est contraire, et qu’elle tourne sa haine et sa persécution contre nous, c’est avec toute la sévérité de la justice que l’amour-propre juge ses actions; il donne à ses défauts une étendue qui les rend énormes, et il met ses bonnes qualités dans un jour si désavantageux, qu’elles deviennent plus dégoûtantes que ses défauts. Cependant, dès que cette même personne nous devient favorable, ou que quelqu’un de nos intérêts la réconcilie avec nous, notre seule satisfaction rend aussitôt à son mérite le lustre que notre aversion venoit de lui ôter. Les mauvaises qualités s’effacent, et les bonnes paroissent avec plus d’avantage qu’auparavant