Aller au contenu

Page:La Rochefoucauld - Œuvres, Hachette, t1, 1868.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
212
RÉFLEXIONS OU SENTENCES

imagination[1], et y paroît plus présente en un temps qu’en un autre : ainsi il arrive[2] qu’après avoir méprisé ce qu’ils ne connoissent pas[3], ils craignent enfin ce qu’ils connoissent[4]. Il faut éviter de l’envisager[5] avec toutes ses circonstances, si on ne veut pas croire qu’elle soit le plus grand de tous les maux. Les plus habiles et les plus braves sont ceux qui prennent de plus honnêtes prétextes pour s’empêcher de la considérer ; mais tout homme qui la sait voir telle qu’elle est trouve que c’est une chose épouvantable. La nécessité de mourir faisoit toute la constance des philosophes : ils croyoient qu’il falloit aller de bonne grâce où l’on ne sauroit s’empêcher d’aller ; et ne pouvant éterniser leur vie, il n’y avoit rien qu’ils ne fissent pour éterniser leur réputation, et sauver du naufrage ce qui n’en peut être garanti[6]. Contentons-nous, pour faire bonne mine, de ne nous pas dire à nous-mêmes tout ce que nous

  1. Var. : se découvre à leur imagination. (1665.)
  2. Var. : et ainsi il arrive. (1665.)
  3. Var. : ce qu’ils ne connoissoient pas. (1665 et 1666.)
  4. Var. : ils craignent ce qu’ils connoissent. (1665, 1666, 1671 et 1675.)
  5. Var. : de la voir. (1665.)
  6. Var. : mais tout homme qui la sait voir telle qu’elle est trouve que la cessation d’être comprend tout ce qu’il j a d’épouvantable. La nécessité inévitable de mourir fait toute la constance des philosophes : ils croient qu’il faut aller de bonne grâce où l’on ne se peut empêcher d’aller (voyez les maximes 28 et 46) ; et ne pouvant éterniser leur vie, il n’y a rien qu’ils ne fassent pour éterniser leur gloire, et pour sauver ainsi du naufrage ce qui en peut être garanti. (1665.) — Les éditions de 1666 et de 1671 portent, comme celle de 1665 : « ce qui en peut être garanti ; » les deux versions donnent un sens acceptable. — Deux maximes du manuscrit de la Rocheguyon viennent à l’appui de ce passage : « Rien ne prouve tant que les philosophes ne sont pas si bien persuadés qu’ils disent que la mort n’est pas un mal, que le tourment qu’ils se donnent pour éterniser leur réputation. » — « Rien ne prouve davantage combien la mort est redoutable que la peine que les philosophes se donnent pour persuader qu’on la doit mépriser. »