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SUR LA ROCHEFOUCAULD

il avait deviné que la puissance du Cardinal ne ferait qu’aller en se consolidant ; mais, outre que l’indécision dans les idées était le fond de sa nature, il avait lui-même le travers qu’il relève si sévèrement chez ses compagnons d’intrigue : il s’exagérait sans cesse son importance et ne pouvait jamais tomber d’accord de la récompense due à ses mérites. Il prétendait que Mazarin vînt à lui ; mais Mazarin, en vrai politique, allait d’abord au plus pressé, c’est-à-dire à ceux de ses adversaires qu’il jugeait les plus redoutables, Avec quelle habileté, par exemple, il se hâte d’attaquer de son doux parler et de ses caresses simulées Mme  de Chevreuse ! comme il affecte de rendre à la galante duchesse, alors âgée de quarante-cinq ans, ces tendres respects qui séduisent davantage les femmes à mesure qu’elles les sentent devenir plus rares ! comme il feint de se prendre à ses pièges, pour la mieux attirer dans les siens[1], sans craindre de lui laisser pour un temps ces vaines apparences de crédit dont s’enivrent, aveugles jusqu’à la fin, les incorrigibles ambitions ! Mme  de Chevreuse, étalant un pouvoir qu’elle n’avait pas, sollicitait chaque jour pour elle et pour ses amis ; elle voulait que la Reine donnât à Marcillac le gouvernement de la place du Havre : du même coup, elle comptait s’acquitter ainsi envers son plus fidèle auxiliaire et se venger de la famille de Richelieu, aux mains de laquelle était ce gouvernement. La Reine y consentait[2] ; mais quelle apparence qu’en une affaire aussi grave on se passât de l’approbation du Cardinal ? Celui-ci ne refusa point[3] : seulement il louvoya selon sa coutume. Il convint que la Reine avait sujet de « faire des choses extraordinaires[4] » pour un serviteur aussi dévoué que le prince de Marcillac ; en aucun cas cependant sa bonté ne devait aller jusqu’à dépouiller la famille de Richelieu. Là-dessus il fit proposer à Marcillac la charge de général des galères, puis celle

  1. Voyez la maxime 117.
  2. « La Reine eut intention en ce temps-là d’ôter le gouvernement du Havre à la duchesse d’Aiguillon, et de le donner au prince de Marcillac… qui étoit fort bien fait, avoit beaucoup d’esprit et de lumières, et dont le mérite extraordinaire le destinoit à faire une grande figure dans le monde. » (Mémoires de Mme  de Motteville, tome I, p. 108.)
  3. Voyez les Mémoires de la Châtre, p. 226.
  4. Mémoires, p. 75.