eux ; ils savent nos habitudes et nos commerces, et ils nous voient de trop près pour ne s’apercevoir pas[1] du moindre changement ; ils peuvent savoir par ailleurs ce que nous sommes engagés[2] de ne dire jamais à personne ; il n’a pas été en notre pouvoir de les faire entrer dans ce qu’on nous a confié, et qu’ils ont peut-être quelque intérêt de savoir[3] ; on est assuré d’eux comme de soi, et on se voit cependant réduit à la cruelle nécessité de perdre leur amitié, qui nous est précieuse, ou de manquer à la foi du secret. Cet état est sans doute la plus rude épreuve de la fidélité ; mais il ne doit pas ébranler un honnête homme : c’est alors qu’il lui est permis de se préférer aux autres ; son premier devoir est indispensablement de conserver le dépôt[4] en son entier, sans en peser[5] les suites : il doit non-seulement ménager ses paroles et ses tons, il doit encore ménager ses conjectures, et ne laisser jamais[6] rien voir, dans ses discours ni dans son air, qui puisse tourner l’esprit des autres vers ce qu’il ne veut pas dire[7].
- ↑ Les diverses éditions, sauf celle de 1731, construisent ainsi : « ne pas s’apercevoir. »
- ↑ « Nous nous sommes engagés. » Édition de Duplessis.)
- ↑ Les éditeurs précédents ont ainsi coupé la phrase après confié : « ils ont peut-être même quelque intérêt de le savoir. »
- ↑ Tel est l’ordre des mots dans le manuscrit. Les éditeurs donnent : « est de conserver indispensablement ce dépôt. »
- ↑ Dans l’édition de 1731 il y a païser, au lieu de peser. Les éditeurs suivants ne comprenant sans doute pas le membre de phrase ainsi imprimé, l’ont omis.
- ↑ Cet adverbe est omis également dans les diverses éditions.
- ↑ Voyez le Portrait du duc de la Rochefoucauld fait par lui-même, ci-dessus, p. 11, et la 2e des Réflexions diverses. — Mlle de Scudéry (Nouvelles conversations de morale, de la Confiance, 1688, tome II, p. 750) : « Celui qui révèle son secret à un ami indiscret est plus indiscret que l’indiscret même. » — La Bruyère (de la Société et de la Conversation, n° 81, tome I, p. 244) : « Toute révélation d’un secret est la faute de celui qui l’a confié. »