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Page:La Rochefoucauld - Œuvres, Hachette, t1, 1868.djvu/441

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RÉFLEXIONS DIVERSES

aisé de s’y méprendre : il y a différence entre le goût qui nous porte vers les choses[1] et le goût qui nous en fait connoître et discerner les qualités, en s’attachant[2] aux règles. On peut aimer la comédie sans avoir le goût assez fin et assez délicat pour en bien juger, et on peut avoir le goût assez bon pour bien juger de la comédie sans l’aimer. Il y a des goûts qui nous approchent imperceptiblement de ce qui se montre à nous ; d’autres[3] nous entraînent par leur force ou par leur durée[4].

Il y a des gens qui ont le goût faux en tout ; d’autres ne l’ont faux qu’en de certaines choses, et ils l’ont droit et juste dans ce qui est de leur portée. D’autres ont des goûts particuliers, qu’ils connoissent mauvais, et ne laissent pas de les suivre. Il y en a qui ont le goût incertain ; le hasard en décide : ils changent par légèreté, et sont touchés de plaisir ou d’ennui, sur la parole de leurs amis. D’autres sont toujours prévenus ; ils sont esclaves de tous leurs goûts, et les respectent en toutes choses. Il y en a qui sont sensibles à ce qui est bon, et choqués de ce qui ne l’est pas ; leurs vues sont nettes et justes, et ils trouvent la raison de leur goût dans leur esprit et dans leur discernement.

Il y en a qui, par une sorte d’instinct, dont ils ignorent la cause, décident de ce qui se présente à eux, et prennent toujours le bon parti. Ceux-ci font paroître plus de goût que d’esprit[5], parce que leur amour-propre et leur humeur ne prévalent point sur leurs lumières naturelles ; tout agit de concert en eux, tout y est sur un même ton. Cet accord les fait juger sainement des objets, et leur

  1. Rapprochez de la maxime 379.
  2. « En nous attachant. » (Éditions antérieures.)
  3. « Et d’autres. » (Ibidem.)
  4. Rapprochez de la maxime 109.
  5. Voyez la maxime 258, et la note 5 de la page précédente.