en forme une idée véritable ; mais, à parler généralement, il y a peu de gens qui aient le goût fixe et indépendant de celui des autres : ils suivent l’exemple et la coutume, et ils en empruntent presque tout ce qu’ils ont de goût[1].
Dans toutes ces différences de goûts que l’on vient[2] de marquer, il est très-rare, et presque impossible, de rencontrer cette sorte de bon goût qui sait donner le prix à chaque chose[3], qui en connoit toute la valeur, et qui se porte généralement sur tout : nos connoissances sont trop bornées, et cette juste disposition des qualités[4] qui font bien juger ne se maintient d’ordinaire que sur ce qui ne nous regarde pas directement. Quand il s’agit de nous, notre goût n’a plus cette justesse si nécessaire ; la préoccupation le trouble[5], tout ce qui a du rapport à nous paroît[6] sous une autre figure ; personne ne voit des mêmes yeux ce qui le touche et ce qui ne le touche pas[7] ; notre goût est conduit alors par la pente[8] de l’amour-propre et de l’humeur, qui nous fournissent des vues nouvelles, et nous assujettissent à un nombre infini de changements et d’incertitudes ; notre goût n’est plus à nous, nous n’en disposons plus : il change sans notre consentement, et les mêmes objets nous paroissent par
- ↑ Voyez la maxime 533, et la 13e des Réflexions diverses.
- ↑ « Qu’on vient, » dans l’édition de 1731 et dans les suivantes. Duplessis donne goût, au singulier.
- ↑ Rapprochez de la maxime 244, et des 13e et 16e Réflexions diverses.
- ↑ « De qualités. » (Éditions antérieures.)
- ↑ « La trouble. » (Ibidem.)
- ↑ « Tout ce qui a du rapport à nous nous paroît. » (Éditions de 1731 et de Brotier.) Les éditeurs suivants, à partir d’Aimé-Martin (1822), ne donnent qu’un seul nous.
- ↑ Voyez les maximes 88 et 428.
- ↑ Dans les diverses éditions : « … n’est conduit alors que par la pente… »