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Page:La Rochefoucauld - Œuvres, Hachette, t1, 1868.djvu/464

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RÉFLEXIONS DIVERSES

cune malignité, et quand on y fait entrer[1] les personnes mêmes dont on parle.

Il est malaisé d’avoir un esprit de raillerie sans affecter d’être plaisant, ou sans aimer à se moquer ; il faut une grande justesse pour railler longtemps, sans tomber dans l’une ou l’autre de ces extrémités. La raillerie est un air de gaieté qui remplit l’imagination, et qui lui fait voir en ridicule les objets qui se présentent ; l’humeur y mêle plus ou moins de douceur ou d’âpreté : il y a une manière de railler, délicate et flatteuse, qui touche seulement les défauts que les personnes dont on parle veulent bien avouer, qui sait déguiser les louanges qu’on leur donne sous des apparences de blâme, et qui découvre[2] ce qu’elles ont d’aimable, en feignant de le vouloir cacher.

Un esprit fin et un esprit de finesse sont très-différents. Le premier plaît toujours ; il est délié, il pense des choses délicates[3], et voit les plus imperceptibles. Un esprit de finesse ne va jamais droit : il cherche des biais et des détours pour faire réussir ses desseins ; cette conduite est bientôt découverte ; elle se fait toujours craindre, et ne mène presque jamais aux grandes choses[4].

Il y a quelque différence entre un esprit de feu et un esprit brillant : un esprit de feu va plus loin et avec plus de rapidité ; un esprit brillant a de la vivacité, de l’agrément et de la justesse.

La douceur de l’esprit, c’est un air[5] facile et accommodant, qui plaît toujours[6], quand il n’est point fade.

  1. C’est-à-dire, quand on fait qu’elles s’y prêtent, qu’elles plaisantent avec nous.
  2. « Qui découvre, » c’est-à-dire, qui montre, fait ressortir.
  3. Ce qui, selon la maxime 99, est la politesse de l’esprit.
  4. Voyez les maximes 125 et 126.
  5. « La douceur de l’esprit est un air. » (Édition de 1731 et suivantes.)
  6. Les diverses éditions donnent : « et qui plaît toujours. »